Le Pont Justicia - entre deux rives

Donatien traversait le pont à la hâte. Il devait se rendre au Conseil et n'était pas en avance. Bon oui il était même en retard. Occupé à enluminer une image pour son Encyclopédie des Dragons, projet qui lui tenait à cœur, il n'avait pas vu l'heure passer. C'est pour cela qu'il se hâtait à pied, vu l'encombrement des routes à cette heure, impossible d'espérer être dans un délai raisonnable au conseil s'il s'y en rendait en calèche.
Il n'aimait pas prendre par le Pont Justicia qui lui rappelait tristement ses devoirs dont certains allaient à l'encontre de sa nature. Les gibets n'étaient pas vides malheureusement et Donatien accéléra encore le pas sans regarder leur figures grimaçantes, raidies dans la mort. Soudain il s'arrêta brusquement, fronça les sourcils et fit demi tour sur quelques mètres pour s'arrêter devant un pilori.
Un air amusé fit briller son regard mais il le dissimula et c'est d'une voix grave et sévère qu'il interpella le garçon coinçé dans le pilori.

- Lorenzo ! Qu'est-ce que tu fais là mon garçon ?

Lorenzo, gamin des rues de 10 ans, leva son regard bleu azur tant qu'il put dans cette inconfortable posture. Reconnaissant Donatien, dont les rumeurs disaient qu'il était son père même si sa mère n'avait jamais voulu confirmé, il rougit.

- "Ooooh...hummm....Votre Seigneurie....Je...et bien ...c'est une tragique erreur, j'vous jure M'sieur.
Une erreur judiciaire !"

- "Mais bien sur...."

Donatien fit signe à un des gardes et chuchota quelques chose. Le garde répondit sur le même ton.

- "Combien de temps dois-tu rester ici ?"

- "Une journée Messire. L'juge a été clément vu mon jeune âge."

- "Et bien dès que tu seras libéré passe voir Atropa à La Mandragore Pendue et dis lui que tu viens de ma part."

- "Oui messire"

Mais déjà Donatien était reparti, et Lorenzo incapable de tourner la tête à plus de 20° le perdit de son champ de vision

AVANT

Dame Ortie possédait une échoppe sur le Pont Justicia et était célèbre auprès de la petite bourgeoisie pour la coupe de ses vêtements et les étoffes robuste et de qualité qu'elle employait. Une bonne partie de sa clientèle était également constitué de nobles voulant habiller leur maisonnée sans se ruiner.
Donatien entraina donc Mad Martigan sur ce haut lieu de Cosme qu'était le Pont Justicia.

Ce pont relie la Rive droite et a Rive Gauche de la ville.
La Rive droite fait plutôt office de quartier populaire.
Tes employeurs sont sur la Rive Gauche.
Il y a pas mal de boutiques ici sur le Pont Justicia.
C'est là que se trouve l'échoppe qui nous intéresse.


A cette heure dans le soleil levant les gibets, vides, paraissaient moins sinistres et seuls deux hommes étaient dans des piloris, l'un ayant selon un panneau volé du pain à l'étalage d'un boulanger, et l'autre ayant sans raison battu sa femme . Ils avaient été condamnés à être soumis à l'opprobre publique et à la vindicte populaire comme en témoignaient le sol jonché de reste de légumes pourris que les passants pouvaient allégrement leur balancer dessus. Mais ce matin, les intendantes pressées et les marchants ouvrant les boutiques ne se souciaient pas d'eux et les deux condamnés somnolaient tant bien que mal malgré la position inconfortable.
Habitué au spectacle, Donatien ne s'en soucia pas et ayant traversé presque totalement le pont, s'arrêta enfin devant une charmante devanture ornée d'encorbellements tarabiscotés. Il poussa la porte et une sonnette aigrelette tinta.

Nous y sommes

annonça Donatien à Mad Martigan.

24.

C’est sur la défensive que Mad entra dans la petite et ravissante boutique. Oui bon ravissante aux yeux des donzelles, lui c’était vraiment pas son truc de faire attention à ce qu’il portait. Il pouvait tout à fait se contenter de son charme naturel pour séduire les femmes, sans avoir besoin de compter sur l’aide d’artifices ou de fanfreluches comme certains hommes aimaient à en porter. Et là il commençait à craindre ce qui allait suivre.

Au son de la clochette, une vieille femme surgit, visage maigre, cheveux filasses, corps voûté, on aurait dit une sorcière et Mad dut prendre sur lui pour ne pas faire de grimace

- Bonjour, que puis-je pour vous mes amis ? Oh mon dieu mais d’où il sort ce zigoto là ?

La bonne femme commença à tirer sur ses vêtements, et se permit même de tirer sur l’une des longues tresses que Mad arborait fièrement.

- Hey !
- C’est quand la dernière fois que vous avez été chez le barbier jeune homme ?
- Le barbier ?

Mad passa une main sur son menton, il était pourtant rasé de près ! Mais bien sûr, il ne pouvait deviner qu’elle parlait de ses longs cheveux. Il échangea un regard avec Donatien, de moins en moins rassuré.

- Et bien, j’ai du pain sur la planche ! s’exclama-t-elle en posa ses mains noueuses sur ses hanches.
- J’ai juste besoin d’une tenue de garde, rien d’autre, n’est-ce pas ? Demanda-t-il en se tournant vers Donatien.
- Y’a pas de dîner de prévu ou des réceptions ou des trucs où il faut aller habiller comme un pinguoin ?? Hein ? Si ?

Le regard suppliant qu’il lui adressa était comique.

- Enfin, si c’est nécessaire…. Mais pas touche à mes cheveux ! gronda-t-il en direction de la vieille, reprenant ensuite son air résigné

Ha non pas tes cheveux, j'adore tes cheveux !

Donatien/Sahar avait eu un cri du cœur, dont il fut du reste gêné. Il rattrapa le coup en rougissant quelque peu.

heu je veux dire c'est très exotique,très bien, je suis sure que ça plaira à la demoiselle ce petit coté d'ailleurs.

Se reprenant, très droit, un rien guindé pour masquer son embarras, il interpella la couturière pour lui rappeler l'affaire qu'il avait en cours.

Dame Ortie, nous venons pour l'Uniforme de la Garde que je vous ai commandé.
C'est pour Monsieur ici présent.



Oulà dame, je ne pensais pas avoir affaire à pareil animal.
Je pense que je vais devoir élargir toutes les coutures

Dit Dame Ortie. L'œil égrillard elle ne se gêna pas pour palper le dit "animal". Et le pauvre Mad Martigan du subir une séance de prise de mesure qui se révéla des plus embarrassantes notamment quand la couturière lui pris l'entrejambe. Elle avait la main baladeuse, la bougresse.
Donatien quand à lui regardait ailleurs, faisant mine de s'interesser aux fanfreluches de la boutique, notamment une très jolie robe en velours d'un jaune vert étonnant.

Quant est-ce que cela pourra être prêt ?


Dame laissez moi quelques jours tout de même...j'n'ai pas que votre pratique.

C'est très urgent Dame Ortie...
J'apprécierais un peu de célérité de votre part.
N'est-ce pas ?
Ce serait dommage de revoir notre accord et que je trouve couturière plus conciliante. Votre fils apprécierait aussi je pense.


C'était un sujet récurrent entre Donatien et la vieille femme dont le fils était un faussaire notoire qui avait parfois fait du tort à la Guilde. Donatien l'avait toutefois sauvé de la potence contre des arrangements. La couturière qui était folle de son fils unique capitula

Très bien, demain ce sera prêt demain, je ne peux mieux faire.

Et s'enfermant dans un silence revêche, elle poursuivit sa tache de prendre les mesures.
Donatien tournait toujours de la robe que décidément il avait bien envie d'acheter d'autant qu'il était tombé en admiration devant de charmantes chaussures assorties. C'était décidé, il repasserait plus tard, sans Mad.

25.

Ha non pas tes cheveux, j'adore tes cheveux !

Mad ouvrit de grands yeux surpris en entendant ça. Il dévisagea Donatien et pendant un bref instant, il eut l’impression de retrouver un autre regard. Mais bien sûr, il chassa très vite cette image, persuadé qu’il avait rêvé. M’enfin ce compliment de la part d’un homme, c’était quand même assez particulier… Sauf si…
Glups.. Mad se rétracta sous les mains de cette maudite couturière.

- M’enfin reste tranquille !

Il écouta ensuite la conversation, essayant de se concentrer sur ce qui se disait, après tout il avait un boulot à faire et il le ferait parce que Donatien le payait pour le faire et qu’il n’avait pas à se poser des questions sur le reste.. Voilà !

C'est très urgent Dame Ortie...
J'apprécierais un peu de célérité de votre part.
N'est-ce pas ?
Ce serait dommage de revoir notre accord et que je trouve couturière plus conciliante. Votre fils apprécierait aussi je pense.

Ah tiens le fiston avait des choses à se reprocher. Et Mad eut un sourire en coin en voyant la manière dont Donatien s’y prenait pour obtenir ce qu’il voulait. Du coup la vieille accepta d’accélérer la commande.
Mad fronça les sourcils tandis que la couturière finissait de prendre ses mesures, voyant Donatien tourner autour d’une robe qui visiblement lui plaisait. Il était quand même bizarre ce type..

- Tu comptes l’acheter pour une de tes maîtresses ? demanda-t-il nouveau sourire en coin.

La vieille lui lâcha enfin la grappe, et Mad rejoint Donatien.

- Et à présent c’est quoi le programme ? Je la verrai quand ma jolie protégée ? Si le costume ne sera prêt que demain….

Donatien se dépêtra de la robe suspendue à son cintre et marmonna d'un air gêné

oui oui c'est ça, une maitresse
A demain Dame Ortie !

Il sortirent se retrouvant de nouveau sur le Pont Justicia

Écoute tu la verras demain, avec ton uniforme.
Ça nous retarde d'une demi journée, ce n'est pas très grave.
Allons à la guilde et puis tu auras quartiers libres pour découvrir la ville.
Mais pas de bêtises, je ne tiens pas à aller te chercher en geôle au bout du premier jour !!

Donatien plaisantait à demi car il avait bien compris que l'énergumène était bien capable de se mettre en mauvaise posture très vite.
Il commençait à y avoir du monde et le Pont était encombré de charrette pleines de fruits, légumes, marchandises acheminées vers les boutiques, ce qui faisait perdre patience au voleur.

La peste soit des marchands !
Rhaaaa mais pousse le ton char !!

Enfin ils s'extrayèrent de la foule et prirent pied sur la rive gauche de la ville

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