Pic de Dantes

Son esprit est comme du métal en fusion. C'est presque agréable de trouver quelqu'un ici qui a un peu de répondant. Mais je n'ai pas le temps d'apprécier. Il est vrai que si elle me rejette à l'eau, je pourrais démontrer qu'en quelques heures sur son bateau, je n'aurai pas mieux appris à nager.

Me balancer par dessus bord ? Pourquoi pas. C'est vous qui décidez ici, seule, sans tenir compte de la vie de votre équipage.

J'ignore si mon jeu de mot sera compris, mais peu importe. Je monte sur le rebord de la barrière, enfin de la chose en bois dont j'ignore le nom technique.

Et bien, soit, il ne vous reste plus qu'à me pousser. Mais il restera une question sans réponse immédiate. Est-ce que ma mort - car personne ne doutera ici que, ne sachant pas nager, mes chances de survie sont nulles - est-ce que ma mort, donc, suffira ? Je suis sûr que votre équipage sera ravi d'attendre dans l'angoisse la réponse à cette question.

Puis, attrapant une corde, je me penche en avant vers elle.

En fait, je n'ai pas moi-même la réponse, mais j'ai en revanche des réponses à d'autres questions. En me jetant par-dessus bord maintenant, vous vous priverez d'informations intéressantes sur les pouvoirs dont disposent ceux que vous vous proposiez de pourchasser.

Je me redresse.

Alors, capitaine ?

83.

Jesse se pencha à son tour, son visage à quelques centimètres du sien, sans montrer aucune peur. Il ne l’impressionnait pas avec ses menaces, mais c’était une chose qui avait le don de l’énerver. Par contre, elle n’était pas stupide et s’il avait des informations à lui offrir, enfin à lui vendre, elle était prête à négocier.

- Oh voyez vous ça, après avoir menacé la vie de mon équipage et la sécurité de mon navire, vous souhaiteriez à présent négocier avec moi ? Décidément oui, la perspective de devoir passer à la flotte vous a soudain rendu bien plus bavard. Je croyais que vous n’aviez plus rien à me dire, Monsieur.

Elle recula brusquement, lui tourna le dos en regardant ses hommes, puis revint vers lui.

- Auriez vous donc finalement quelque chose à me proposer qui puisse me faire changer d’avis ? Si vos informations sur les démons que je dois chasser, me satisfont, je serai oui, éventuellement disposée à changer immédiatement de cap, et à vous déposer dans le premier port venu.

Il avait intérêt à être convainquant, parce que d’après ce que le Sage lui avait dit, l’arme qu’elle trouverait au pic de Dante, au milieu d’un trésor oublié, devrait lui permettre de vaincre ces démons. C’était une arme forgée par les premiers colons, d’anciens templiers que le destin aurait détourné de leur mission, pour les ramener ici sur Liberty. Une arme sacrée et magique qui possèderait le pouvoir de détruire ces démons. Inutile de dire que Jesse s’était sentie très flattée d’avoir été choisie par le grand dragon pour manipuler cette puissante arme….
Mais si son naufragé avait des informations supplémentaires à lui donner sur ces démons, après tout pourquoi pas ?

Au jeu de celui qui en dirait le moins et devrait céder, il semblait que cela doive durer longtemps. Et dire qu'elle pensait qu'il avait peur de mourir.

La mort serait d'un bien grand repos au regard de ma vie.


J'élève la voix, que tous les marins m'entendent bien.

Capitaine, vous vous méprenez. Je ne négocie rien. En me refusant ce que je vous demandais gentiment, vous avez vous même autorisé la malédiction qui s'attache à mes pas à s'abattre sur votre navire. Et je peux vous garantir que vous n'imaginez même pas jusqu'où les choses peuvent aller. Doivent vous rappeler dans quelle situation vous m'avez récupéré ? Un autre capitaine n'a pas cru bon d'accélérer son allure malgré ma demande.

Puis je me penche de nouveau vers elle. Ce petit jeu doit mettre les nerfs de l'équipage à rude épreuve...

Quant à ma proposition, elle n'est en rien une base de négociation. Mais je peux concevoir que vous exigiez un prix de passage pour me mener à la destination la plus proche. N'ayant plus aucune ressource, je me suis dit que ce serait votre dédommagement. Qui n'est acquis qu'une fois arrivé, bien sûr.

Je me redresse de nouveau.

Alors, Capitaine ? Ferez-vous comme votre prédécesseur ? Négligerez-vous mes avertissements en prenant pour votre navire et votre équipage de grands risques ? Ou comprendrez-vous que ma bouche n'émet que la vérité, celle qui par ailleurs est occultée en ce monde.

Nous y voilà. Cette fois, elle ne m'invite plus dans sa cabine comme un vulgaire pécore. Mais bien en égal. Je peux donc accepter cette invitation, même si elle ne pourra jamais être l'égal du fils du Seigneur Sombre. Mais je peux comprendre qu'elle doive conserver quelque peu les formes pour garder son autorité sur son équipage.

L'important est d'obtenir ce que je veux, et cela mérite quelques concessions. C'est le prix que je dois payer à chaque fois que je renonce à ce que je suis, et que je me condamne à être un misérable humain sans pouvoir, pour échapper à la Gardienne. Je n'aime pas, mais c'est aussi ma décicion.

Alors que je m'apprête à lui emboîter le pas, deux coups de vents réguliers me font comprendre qu'Invisible tente d'attirer mon attention par le mouvement de ses ailes.

Je me retourne donc de nouveau vers le large, au risque d'agacer le capitaine. Mais quel imbécile fait cet Invisible, non content d'avoir dû visiter les cuisines du Maître Coq. Ma punition à venir sera à la hauteur de ces imbécilités indignes d'un serviteur de Mhyédabur.

Maître, murmure Invisible, j'ai pensé que vous seriez intéréssé par savoir qu'il n'y a aucun rat sur ce navire. Je n'ai rien trouvé. C'est comme si quelque chose prenait soin qu'il n'y en ait pas.

Je ferme les yeux. Pas de rat, cela signifie aussi pas de pouvoir. Hum, c'est une information importante à connaître avant de discuter avec le capitaine. A mon tour de murmurer.

Retourne dans la cabine et ne t'avise pas de nouveau de faire quelque chose qui pourrait laisser penser à ta présence à bord, sinon je te promets que ta souffrance sera au moins égale à celle de plusieurs siècles dans les Enfers.

Puis, je fais demi-tour et souris.

Je suis votre homme Capitaine. Je vous suis. Mais en quoi croyez-vous que ce barbu inutile et pompeux soit utile à notre conversation ?

En fait, je ne pensais pas vraiment ce que je disais et je m'en moquais. Mais j'espérais ainsi ramener son attention sur autre chose que mon attitude qui avait du la surprendre.

85.

Parangon, sursauta, comme piqué au vif. Ses magnifiques yeux verts s’ouvrirent et il fixa la mer face à lui. Ca recommençait, il sentait encore cette présence, cette démarche particulière, légère et griffue qui grattait son pont.

*ça recommence, je sens de nouveau cette chose*
*mais quoi, Parangon ? Qu’est-ce que tu sens ?*
*Cet homme n’est pas seul, il y’a quelqu’un d’autre*

Jesse se tourna vers l’inconnu. Elle ne voyait que lui, et pourtant quand il se détourna, elle eut l’étrange impression qu’il s’était adressé à quelqu’un d’autre. Mais elle n’aurait pu en jurer, n’ayant pas vu son visage. Que pouvait-elle faire de toute façon ? Mis à part le débarquer rapidement. Car oui, cet homme était synonyme de problèmes, voir de malédiction. Et Jesse n’avait pas envie de faire courir ce risque avéré ou non à son navire. Tant pis pour ce paquet que l’autre transportait, de toute façon un trésor l’attendait sur le pic de Dante. Qu’importait à côté de ça, un mystérieux paquet ?
C’est du moins ce qu’elle tenta de sen convaincre.

- Je suis votre homme Capitaine. Je vous suis. Mais en quoi croyez-vous que ce barbu inutile et pompeux soit utile à notre conversation ?

Jesse referma la porte derrière eux. Cet homme était un véritable mufle et elle put voir le professeur tiquer.

- Le professeur Barossa ici-présent que je respecte pour son érudition, est bien plus utile que vous ne le croyez. Qui êtes-vous donc pour juger les gens sans savoir ? C’est moi qui lui ai demandé de m’accompagner à bord, et pour une bonne raison. Il connait ce monde bien mieux que moi aujourd’hui. Les cartes que je possède de Liberty ne sont plus à jour, et lui seul pourra nous indiquer le port le plus proche pour vous permettre de continuer votre voyage. Alors vous pourriez vous montrer un peu plus respectueux.

Elle lui jeta un regard mauvais, et se dirigea vers son bureau, derrière duquel, elle sortit deux rouleaux de cartes. Après avoir examiné l’un d’eux, elle n’en conserva qu’un qu’elle alla étaler après avoir sommairement repoussé plateau de fruits et chandeliers, sur la grande table au milieu de la pièce.

- Ce n’est pas grave, capitaine. Les gens qui critiquent mon savoir, sont ceux qui n’en ont pas.
- Bon, approchez…….. Voici ma bonne vieille carte de Liberty. Professeur, d’après mes calculs, nous avons retrouvé…. Notre naufragé… ici.. (pointe le point noir)
(Map en spoiler)

Spoiler:

- Ainsi en ce moment, nous devrions nous retrouver ici… (pointe le point vert)… Enfin si je peux me fier à cette carte. Vous m’avez dit que le monde avait subi pas mal de changements, même au niveau géographique.
- En effet… regardez par exemple l’île anciennement nommée l’île du Moine. Juste après la nouvelle Aube, elle a dérivé sur plusieurs miles, venant finalement se raccrocher ici… (désigne la pointe sud de l’ancien Vestalia Imperii). Mais de ce côté-ci de ce qui est devenu Cosme aujourd’hui, il n’y a pas de changement.
- Ah et bien c’est parfait….. donc nous sommes plus proches des côtes cosmopolitaines que celles d’Arcadia. Ce port-ci me semble tout indiqué…(désigne le point rose) s’il existe toujours ?
- Oui oui, que ce soit celui-ci ou un autre, vous finirez bien de toute manière par trouver un port. Mais effectivement, Cosme semble plus proche qu’Arcadia.

Puis elle leva les yeux vers l’autre zigoto.

- Sauf si vous préférez vous retrouver sur Arcadia. Remarquez, voilà qui vous mettrait un peu plus hors d’atteinte d’Utopia. Remarquez encore que nous devons nous rendre ici… (désigne le point rouge) d’après les indications qu’on m’a données….. Ce qui nous met un peu plus à portée d’Utopia…………mais, c’est vous qui voyiez. Après tout si vous trimbalez avec vous une malédiction, je crois que le plus sage, c’est que je vous débarque sur la côte Cosmopolitaine….

Elle le dévisagea avec attention, curieuse de connaître son avis à ce sujet.

Juger les gens sans savoir ? N'est-ce pas ce qu'ont décidé de faire tous les habitants de Liberty en emprisonnant tous les habitants d'Orkhôn, y compris les générations naissantes et ceux à naître ? Capitaine, ne me donnez pas de leçon de jugement quand il vous aura suffit de naître du bon côté de l'océan pour être jugée innocente, et moi du mauvais côté pour être jugé coupable.

De toute façon, je sens qu'elle sait, alors je peux me permettre d'être plus clair sur mes origines. L'important était qu'elle ne me traite pas comme un simple marin, mais au moins comme un égal, à défaut de ce que je suis, un être infiniment supérieur à elle.

L'érudition, professeur ? Croyez-vous que j'en manque ? Et non, je ne souhaite pas aller en Vestalia Imperii.

J'échange un regard avec le professeur qui comprend que, si je connais l'ancien nom d'une partie de Cosme, cela signifie aussi que je ne suis pas l'ignorant qu'il aimerait me voir être. C'est ainsi des habitants de Liberty : ils préfèrent leurs illusions aux vérités. Mais je suis Mhyédabur, fils du Seigneur Sombre, Juste parmi les Justes venu exercé chez eux la même justice qu'ils nous appliquent, instruit par les plus grands maîtres des sombres magies comme par les meilleurs répétiteurs, la vérité cruelle qu'ils se refusent à regarder.

Je me penche alors sur la carte et mon ongle fin et tranchant suit la même ligne que celle présentée par le capitaine, poursuivant plus au nord du Pic de Dante pour venir tapoter la frontière sud d'Utopia.

Mais je me pensais beaucoup plus au nord que ce que vous m'apprenez, d'où mon refus de gagner ce Pic de Dante que je situais à notre sud. Cependant, cette carte me confirme que cela me met sur ma route plus sûrement que de devoir aller en Arcadia négocier un nouveau moyen de transport. A vrai dire, si après ce que vous avez à faire au Pic vous pouviez me pousser directement en Utopia, j'en serai fort aise.

Je me redresse.

Concernant ce qui m'entoure. Tant que je me dirigerai vers Utopia, c'est-à-dire tant que je m'en approcherai physiquement, vous n'aurez rien à en craindre. Je découvre maintenant pourquoi l'autre navire a coulé et son équipage entier a péri. Le capitaine m'a menti et sa course m'a éloigné de ma destination. Ce n'est pas une erreur que vous ferez vous-même, n'est-ce pas ?

Je ne vais pas encore lui dire que j'ai invoqué ces démons, ni qui je suis. Il sera toujours temps quand mes pieds sentiront le sol d'Utopia sous moi. Mais elle a du tempérament et elle ne se laissera appâter que par quelque chose de consistant.

Ainsi, nous aurions plusieurs jours pour parler des Démons. Je les connais. J'ai voyagé avec eux.

86.

Jesse haussa un sourcil au discours de ce mystérieux inconnu. Décidément, il n’était vraiment pas ordinaire lui. Elle eut envie de rire quand il évoqua les natifs de Liberty, mais ce détail fut oublié quand elle vit sa main se tendre vers la carte, sa main et ces ongles particulièrement longs, presque griffus ? Une idée ? Une image s’imposa dans son esprit et le déclic se fit quand il leur annonça qu’il les connaissait et qu’il avait voyagé avec eux.

Une chose était certaine, il se moquait d’elle, voir pire, il essayait de l’entourlouper. Et on ne la lui faisait pas à elle. Il utilisait la superstition des taïnos, voir la sienne pour parvenir à ses fins. Et si jusque là, elle ne savait pas dans quelle mesure, elle devait prendre en compte ses menaces, à présent, c’était tout trouvé. Il arrangeait cette histoire suivant sa convenance, et tout à coup à présent, il prétendait que le navire qui l’avait transporté jusque là, avait sombré à cause qu’ils avaient refusé de suivre le cap qu’il avait choisi. Jesse eut dans l’idée que tout cela n’avait strictement rien à voir avec une malédiction, mais avec ce type qui se la jouait supérieur à eux…..

Et s’il disait vrai, si ce navire avait sombré à cause d’une malédiction ou tout autre diablerie, comment se faisait-il qu’il avait failli y passer lui aussi ? Quelque chose n’était pas clair dans toute cette histoire et Jesse se demanda combien de surprises et de révélations l’attendraient lors de ce voyage avec cet homme.

- Vous êtes en train de me dire que ce navire a sombré parce que son capitaine vous aurait menti ? Vous êtes en train de me dire que vous êtes responsable de cet…accident ? En quelque sorte, vous me dites que ….. si je ne fais pas ce que vous nous demandez, ce navire subira le même sort ? Voilà une bien singulière façon de procéder, dans le milieu des pirates, on appelle ça faire du chantage. Vous vous doutez, monsieur… que cela ne me plait pas du tout, n’est-ce pas ?

Elle fit quelques pas dans la cabine, faisant mine de réfléchir.

- Dans ce cas, je devrais vous balancer directement à la flotte mais…

Elle le fixa soudain.

- Vous et moi savons parfaitement que je n’en ferai rien, parce que vous avez bien compris que je ne ferai rien qui puisse nuire à mon équipage et à mon navire. J’aurai donc bien plus à perdre à réagir ainsi qu’à y gagner. Soyez donc assuré, qui que vous soyez, que je vous mènerai jusqu’en Utopia. Notre escale au Pic de Dante devrait être des plus brèves. Cependant je vous préviens…..S’il devait se passer encore le moindre fait étrange à bord portant à croire à quelconque malédiction, s’il devait arriver le moindre problème j’userai alors moi aussi de moyens fort peu recommandables pour … faire cesser ces problèmes

*tu sens encore sa présence ?*
*oui…il est…quelque part dans sa cabine…. Il …il s’agite*

Mais la pirate ne perdit pas le nord, et sans lâcher le regard de l’individu, ajouta :

- Et dites à votre ami de cesser d’effrayer mes hommes et qu’il ne m’approche pas si non je lui tranche la gorge.

Capitaine, vous n'avez pas bien compris ce que j'ai dit. J'ai dit que cela avait dû arriver, car il m'éloignait d'Utopia au lieu de m'en rapprocher. Je ne suis pour rien, du moins directement, dans l'événement qui a mené à la fin de son bâtiment et de son équipage.

Je me penche alors par dessus la table, les deux mains posées bien à plat sur ce qui représente Orkhôn. Pour un peu, je pourrais sentir mon pays, ma terre, l'énergie et la puissance qui y court, emprisonnée.

Je fronce les sourcils, car elle vient une nouvelle fois de faire référence à Invisible, forcément. Comment le devine-t-elle ? C'est une chose que je dois découvrir, pour ma culture personnelle. Mais pour l'instant, je vais écarter cette remarque.

Capitaine, si je prenais la décision de détruire un navire et son équipage, je vous assure que je n'aurai besoin que de moi.

En soi, c'était parfaitement vrai. Invisible serait d'une bien piètre aide, voire aucune. Ce que j'oublie de dire, c'est qu'en l'état actuel des choses, j'arriverai sans doute à peine à attraper un rat.


Puis je me redresse.

Dois-je comprendre que nous sommes d'accord et que vous acceptez de me conduire en Utopia ?

87.

Jesse le dévisagea, sans sympathie aucune, puis saisit ses cartes qu’elle roula.

- On va dire ça oui. Après demain, nous devrions parvenir au pic de Dante et une fois que j’aurai trouvé ce que je dois aller y chercher, nous repartirons aussitôt pour Utopia. Et puis peut-être que d’ici là, vous m’en direz plus sur *vos amis*... ces démons.

Elle se redressa et lui tourna le dos pour aller ranger ses cartes, puis alla lui ouvrir la porte pour lui signifier que la discussion était terminée. Quand il passa la porte, elle referma derrière lui et se tourna vers le professeur.

- Nous allons nous méfier de cet homme, comme de la peste. Parangon dit qu’il n’est pas seul à bord. Et si vous m’en disiez plus au sujet des exilés ? Je veux tout savoir sur eux, tout !

Et c’est ainsi que Jesse apprit que le Sage avait exilé sur cette île, les pires criminelles du continent unique, faisan d’Orkhôn, une terre maudite et dont peu de libertiens s’autorisaient à en parler, de peur d’attirer sur eux le malheur, et le regard du Seigneur Maudit, le maître d’Orkhôn, celui qui était responsable de la grande guerre… Celui qu’elle avait du fuir pour protéger l’élu…

Barossa lui parla entre autre, des gardiennes de Thémis, ces créatures mi-humaines mi anges qui étaient responsables de veiller à ce que personne ne s’échappe d’Orkhôn. Visiblement, avec cet énergumène qu’elle baladait sur son navire, elles avaient échoué. Elle narra donc l’épisode de sa rencontre avec les gardiennes tandis qu’elle approchait de l’île des exilés. Au moins, elle savait pourquoi à présent, elle avait été si promptement chassée…

Quant à Parangon, pendant cette journée et demie de navigation qu’il leur fallut pour atteindre le fameux pic, il garda toute son attention sur cet homme qu’ils avaient recueilli à bord. Le point positif dans l’histoire, c’est qu’il n’y eut plus aucun autre incident et les Taïnos à l’approche du pic, étaient bien plus détendus.

Quand la vigie annonça les terres en vue, Jesse se dépêcha sur le pont afin de voir à quoi ressemblait ce pic…. Elle ne fut pas déçue. Le pic surgissait tel un croc hors de l’eau, à l’assaut d’un ciel d’un bleu azur. Roc immense qui devait mesurer dans les deux cent pieds….Vertigineux….

- Et bien…. Je n’sais pas comment on va trouver ce que je suis venue chercher mais.. j’espère ne pas avoir à escalader ce roc….

Je ne sortis pas pendant tout le court voyage. Je n'eus que quelques mots à échanger avec Invisible qui se vit contraint désormais de voler en suivant le bateau, sans jamais y poser le moindre ongle. C'était un Démon : je savais que faire des efforts l'agacerait prodigieusement, mais il ne ressentait pas la fatigue et encore moins le besoin de sommeil. En fait, il ne ressentait guère de choses, à l'exception de la douleur et de la faim.
On m'apportait mes repas dans ma cabine et cela me convenait parfaitement, limitant de-facto mes contacts avec la Capitaine et son insupportable érudit.

Quand j'entendis la vigie annoncer la terre en vue, je décidais de sortir.

Je fis alors un signe particulier, celui dont j'avais convenu avec Invisible.

Quand je sentis le vent produit par ses ailes, je murmurais entre mes lèvre, tourné vers la mer, afin que personne n'en voit rien.

Invisible, tu vas suivre la capitaine autant que tu le pourras. Tu me rapporteras le moindre de ses propos et tu me diras ce qu'elle aura fait et ce qu'elle aura trouvé. Vas.

Puis, j'observais l'île.

Quand soudain, une idée se fit... Pic de Dante ? de DANTE ?

Je m'approchais un peu vivement du professeur.

D'où cette île tire-t-elle son nom ?, lui demandais-je abruptement.

88.

Le professeur se tourna vers l’inconnu, surpris après tout ce temps de se voir ainsi abordé, particulièrement après la conversation qu’ils avaient eu dans la cabine de la capitaine. Qui cette dernière les regardait en ce moment, avec cet air de méfiance qu’il commençait à lui connaître.
Devait-il répondre à ce rustre ? Devait-il partager sa science avec un homme qui avait clairement montré son mépris ? Et pourquoi faisait-il montre d’un intérêt si vif pour le nom de cette île ?

Barossa devait deviner à présent s’il serait partisan de la première légende ou de la seconde. La première étant particulièrement romancée, et pourtant c’était celle en laquelle croyait le professeur, forcément. La seconde par contre…….

- Tout dépend de ce qui vous intéresse le plus, une histoire de trésors et de religion, ou une histoire de porte des enfers ou de paradis sur terre ?

Le professeur rit doucement.

- Je devine à votre expression que la légende du Pic de Dante concernant une porte donnant sur les enfers vous intéresserait plus que celle de Dantès ayant caché là un trésor religieux… Que le pic rocheux aurait été détaché de son île par les mystères qui régissent ce monde, afin que cette porte jamais ne soit découverte. Mais peut-être qu’au fond, les deux légendes sont mêlées, car on ignore ce que cache en fait ce pic de Dante… On ignore laquelle des deux légendes est la vraie… trésor ou porte des enfers ? Ce qui est sûr en tout cas, c’est que ce pic était autrefois lié à l’île du Moine et portait le nom de Montecristo.. l’île du Christ.

Barossa se tourna vers la pirate qui les regardait toujours.

- Pour le reste si vous souhaitez en apprendre plus, il ne vous restera plus qu’à faire comme moi, suivre cette pirate sur cette île et découvrir ce qu’il en est vraiment….

Pour sa part, il était curieux de voir comment elle allait s’y prendre pour trouver une quelconque cache au trésor dans ce pic rocheux. Sauf s’il était telle la légende de Dantès…Ou de Dante ?

Jesse soupira, contrariée de les voir bavarder ensembles, car oui justement ce professeur était bien trop bavard ! Mais à quoi bon s’énerver ? Il était temps à présent de passer à l’étape suivante, mettre la main sur cette épée, ce sabre de feu…. Enfin non, mettre pour commencer une chaloupe à la mer.

- S’il reste, je te laisse veiller sur lui et sur l’équipage. Ne relâche pas ton attention
- Et s’il vient ?
- Je préfèrerai, au moins je l’aurai à l’œil.
- Mais le trésor ? Ne crains-tu pas qu’il veuille s’en emparer ?
- On ignore si on trouvera véritablement un trésor
- Mais si tel est le cas ?
- J’ai tout un équipage pour m’aider à le jeter à la mer s’il le faut, et je t’ai toi, s’il tente de s’en emparer. Et puis peut-être qu’il pourra m’être utile là-bas
- Comment ?

Jesse haussa les épaules… *on verra bien*
Elle donna donc les ordres pour préparer une chaloupe où quatre Taïnos les accompagneraient, elle, le professeur et cet homme s’il le souhaitait. Elle lança à leur intention, en haussant la voix, ton légèrement ironique..

- Alors parés à débarquer ? Votre chaloupe est avancée !

Il ne lui resterait plus qu’à décliner si la balade ne l’intéressait pas.

Quelque chose ne me plaît pas dans le sourire du professeur. Je suis presque certain qu'il se joue de moi.

Mais la seule façon d'en avoir le cœur net, c'est de débarquer.



Le problème, c'est que la capitaine se tourne vers moi, comme si j'allais la suivre. Non, cela fait bien trop coup monté, préparé. Et de toute façon, Invisible la suivra. Ce sera suffisant.

Pourquoi voudriez-vous que j'aille sur un bout de rocher perdu au milieu de la mer ? Non, j'attendrai ici.

De toute façon, je suis persuadé qu'elle fera plus de choses et parlera plus en mon absence qu'en ma présence. J'en apprendrai donc plus en restant patient et en laissant Invisible se débrouiller.

89.

Jesse secoua la tête, ne cherchant même pas à discuter. Elle se demandait seulement s’il avait écouté la conversation. La pirate fit un signe de tête à Xit, et salua ses hommes avant de descendre dans la chaloupe qui avait été mise à la mer. Goltech, Cala, L’oiseau, et Yilpey ainsi que le professeur, seraient du voyage, les autres resteraient à bord et les ordres étaient strictes, ne pas relâcher un instant la surveillance du naufragé.

Quand tout le monde fut installé, la capitaine donna l’ordre de commencer à souquer, regardant son navire dont ils s’éloignaient lentement, pour prendre la direction du rocher. Elle plissa les yeux alors que l’homme se tenait à la lisse, les regardant partir.

*t’inquiète pas… s’il y a un souci, je fais donner le signal*

La pirate acquiesça silencieusement, sachant qu’elle pouvait compter sur son équipage et sur Parangon. Une chose était heureuse, c’est qu’ils avaient pu mouiller très proche du rocher. En cas de retour précipité, ils n’auraient pas un long chemin à faire. De plus, le White Star n’aurait pas à se cacher cette fois. Un autre détail par contre, l’ennuyait, ça faisait deux jours qu’on n’avait pas revu Griffon, il avait quitté le bord presque aussitôt après l’arrivée du naufragé.

Jesse se demanda si elle le reverrait un jour, au vu de ces derniers temps qui avait vu la chimère prendre de plus en plus de distance… Peut-être que le côté Griffon avait pris l’ascendant sur l’humain, peut-être que l’humain au fond, n’avait peut-être jamais souhaité recouvrir sa forme d’origine… Et que pouvait-elle faire ? Contre l’envie de liberté du Griffon… Rien, elle le lui avait dit dès le premier jour, elle ne ferait jamais rien pour l’entraver…

A présent une page se tournait, il lui fallait retrouver cette arme, ce sabre de feu promis par le Sage.
Elle indiqua aux Taïnos, une anfractuosité de la taille d’un homme presque au niveau de la mer. Ils chercheraient d’abord de ce côté.

Invisible suivait tranquillement, s'amusant même des courants d'air contrariés créés par les falaises.

90.

Ils avaient l’avantage d’avancer sur une mer calme. Le contraire aurait été bien ennuyeux pour approcher le roc perdu au milieu des flots. Restait à trouver une entrée, un passage, quelque chose qui les mènerait jusqu’à une cache, une grotte, n’importe quoi où elle aurait pu y trouver le sabre. Ce qui lui fit penser que la prochaine fois que le dragon lui demanderait de lui rendre service, même si ce service moyennait un arrangement particulier entre le dragon et elle, il faudrait qu’il soit plus précis dans sa demande et les infos qu’il aurait à lui transmettre. Parce que là tout de même, elle devait faire tout le boulot. Et puis pourquoi il ne leur faisait pas la chasse lui-même à ces démons hein ?.... c’était une question qu’elle garderait en réserve si un jour elle le recroisait.

En attendant, il lui fallait ce sabre, sinon face à des démons, elle n’aurait aucune chance, parole de dragon. Mouais…. Et l’autre qui n’avait même pas voulu lui filer un coup de main alors qu’elle lui avait sauvé la vie….. Les hommes étaient bien ingrats parfois.

Mais trouver un sabre dans ce truc, c’était vraiment une énigme qui au premier abord leur parut impossible à résoudre. Ils firent plusieurs fois le tour du rocher, avant de trouver un passage, une anfractuosité qui leur permit tout juste de passer. Mais là encore, ils ne trouvèrent rien..
Jesse finit par donner l’ordre d’arrêter la chaloupe, alors qu’ils arrivaient à peu près à mi chemin de cet étrange canal naturel creusé sous le rocher.

- Ça fait trois fois qu’on passe par ici, sans rien trouver, pas un passage, pas une porte, pas un signe, rien !
- Nous n’avons peut-être pas bien regardé.
- Regarder ? Je ne fais que ça, et……

Jesse leva les yeux vers le haut, sous les voûtes que l’on devinait à peine.

- Passez-moi une torche !

Goltech s’empressa de lui passer celle qu’il tenait. Jesse la tendit alors à bout de bras, et s’efforça d’éclairer le plus haut possible.

- Étrange quand même… Impossible de discerner la hauteur de cette paroi par ici. Doit y avoir un truc.

Et chacun se mit à observer avec attention autour de lui. Quand brusquement le professeur poussa un cri qui fit sursauter la pirate.

- Làà… là il y a quelque chose!!

Jesse fit donc approcher la chaloupe de la paroi désignée par le professeur. Il y avait à plusieurs endroits de ce passage naturel entre les falaises, des rochers qui surgissaient à quelques centimètres au-dessus du niveau de la mer. Rochers qu’ils avaient du soigneusement évité pour ne pas abîmer la chaloupe. C’est donc prudemment qu’ils avancèrent dans la direction montrée par le professeur. Et derrière l’un de ces rochers, ils découvrirent une étrange gravure.

La pirate fronça les sourcils en voyant la créature qu’on avait gravée dans la roche. Le professeur murmura dans un souffle :

- Le Baphomet !
- Quoi ?
- Le Baphomet légendaire figure liée aux templiers.
- Ce truc est horrible, on dirait….. hum il a un air de ressemblance avec le Sage, vous ne trouvez pas ?

Le professeur ignora la pirate qui s’esclaffait même si à vrai dire, cette gravure avait un air plutôt effrayant… sans doute pour faire fuir tous ceux qui auraient pu la découvrir ?

- Il n’a pas sa représentation habituelle.
- Pardon ? Quelle représentation ?
- D’ordinaire, on le voit, avec une tête de bouc oui, le flambeau sur la tête, une main désignant le paradis, et l’autre les enfers. Sauf que..là, .. ça c’est un détail étrange. On dirait qu’il montre autre chose que le ciel, cet œil comme.. mais ce n’est pas possible !
- Hein ? Quoi donc ?

Le manège du professeur commençait sérieusement à l’agacer. …
- l’autre main montre un passage… vers les enfers…

Mais Jesse elle ne voyait que des cercles entourant d’autres cercles plus étroits, se terminant sur un espace vide, un creux dans la roche. Les enfers ça ? Elle hésita à glisser son doigt dans l’interstice. Ça c’était un coup à se le faire …couper ! Elle ne prit donc pas le risque, réfléchissant déjà à trouver un objet qui pourrait entrer là-dedans.

C’est là que le professeur dégagea la mousse qui s’était agglutinée sur la partie au centre de la gravure, ce qui en fait représentait un disque sur le ventre de la créature.

- D’ordinaire, c’est un caducée qu’on trouve là….

Mais tous les deux purent découvrir, une croix chrétienne…..renversée. Jesse fit une grimace. Elle n’aimait pas l’église et toutes ces histoires de christianisme. Elle, ne croyait qu’en la protection divine de Calypso. Soudain Jesse écarquilla les yeux en voyant le professeur faire coulisser la croix, pour la remettre à l’endroit.

- Hey, attention !

C’était peut-être un piège, après tout, cette représentation était faite pour chasser les intrus.. Et quiconque aurait vu cette croix inversée se serait carapaté…. Sauf elle, puisqu’elle savait ce qu’elle venait chercher. C’est à cet instant qu’ils entendirent un bruit étonnant de chaînes et d’un mécanisme que le professeur venait ainsi d’actionner. Jesse sur ses gardes, jeta des regards inquiet tout autour d’elle, s’attendant à une catastrophe.

Au lieu de quoi, à leur plus grande stupéfaction, ils virent coulisser depuis le haut, de cet endroit qu’elle n’avait pas réussi à éclairer jusqu’à son sommet, un escalier en colimaçon, monté dans un métal qui crissait à chaque mouvement, accompagnant le bruit lugubre de chaînes et du mécanisme qui l’avait fait descendre jusqu’à eux.

- Le passage, murmura le professeur, dont les yeux brillaient d’excitation.

Jesse se redressa un peu dans la barque, et respira un peu mieux. Ok, il n’y avait pas de piège, mais ils venaient de toute évidence, de trouver un passage pour découvrir ce que cachait ce rocher.

91.

Elle rétorqua alors avec ironie :

- Bon ça va, ça vient du haut, ce n’est donc pas un passage vers les enfers. A moins qu’on ne m’ait trompée à ce sujet ?

Mais voyant que sa blague tombait à plat avec le professeur, elle secoua la tête, et se hissa sur la passerelle de l’escalier, restant toutefois attentive à tout signe de problème. Le professeur ne tardât pas à la rejoindre tandis que les Taïnos la regardaient avec inquiétude.

- Goltech, L’oiseau avec moi. Les autres vous nous attendez bien sagement !

Puis elle gravit l’escalier en colimaçon qui leur demanda plusieurs marches avant d’atteindre un palier. Elle entendait la respiration essoufflée du professeur derrière elle, mais cette fois, elle était lancée sur les traces de ce trésor et rien ne pourrait l’arrêter désormais, …en principe.
Sur la porte brute en bois, pas très haute, l’on avait encore une fois, fait la représentation de ce baphomet, mais en son ventre se tenait cette fois, une poignée d’heurtoir. Jesse jeta un coup d’œil derrière elle.

- Oh vous croyez qu’on est attendus ?
- J’en doute… ça doit être un autre système à déclencher.
- Roh mais je sais, je plaisantais voyons ! Vous n’avez pas beaucoup d’humour, professeur !

La pirate se tourna à nouveau vers la poignée qu’elle souleva, essaya de la faire pivoter comme le professeur l’avait fait tout à l’heure avec la croix, se pencha pour l’examiner, mais ne vit rien de particulier.

- C’est idiot ! On est arrivé jusque là, on ne va pas se laisser arrêter par une porte !

Elle songea alors à utiliser la méthode de Jack, mais le professeur s’indigna. On ne ferait rien exploser du tout, c’était prendre le risque de tout voir s’effondrer. Bon ok, méthode risquée, elle dût le reconnaître. Alors pourquoi avoir foutu un heurtoir sur une porte qui ne devait attendre que celui qui connaissait cet endroit ? A moins que..

- Il faut heurter à la porte !
- Pardon ?
- C’est ça, le heurtoir, c’est qu’il faut l’utiliser… il doit y avoir un code…. Je n’sais pas mais..
- Un code… ah comme le morse ?
- Le morse ? Qu’est-ce que c’est ?

Le professeur la dévisagea étrangement, puis sourit.

- C’est quelque chose que… que vous découvrirez peut-être un jour.
- M’enfin professeur !! Cessez donc de faire des mystères !! J’ai un exilé à bord de mon navire, j’aimerai bien pouvoir y retourner le plus vite possible, et donc mettre la main sur cette maudite épée !
- Oui, je comprends.. ne vous énervez pas. Il nous faut donc trouver hum le code qui nous permettrait d’ouvrir cette porte.
- Je n’vous l’fais pas dire ! Ces templiers, avaient-ils un signe de ralliement ?
- Oui bien sûr, la croix des templiers et leurs habits.
- Mouais, ben c’est pas ça qui va m’aider !
- Oh attendez, une inscription !! C’est du latin.

Jesse se pencha à son tour pour voir les lettres gravées au dessous du personnage.

- j’espère que vous connaissez cette langue ?

Le professeur se tourna vers elle, comme si elle avait prononcé le pire des outrages.

- Naturellement !! Mais c’est étrange.
- Quoiaa encore !?
- Maledictio Templãris Cifra….hmm
- Maledictio ?? Quoi, une malédiction ??? hey.. ça ne me plait pas du tout ça !! Le Sage ne m’a pas dit que…
- Le 13 !!!
- Quoi ?
- Le 13, bien sûr, la malédiction des templiers, c’est leur chiffre.. cifra !..... ou alors

Elle allait le tuer…

- Il faut comprendre chiffre.

Il se pencha vers l’anneau mais Jesse le retint.

- Hey attendez, vous faites quoi ?
- Le treize, il faut faire un coup, puis trois coups…Cifra, et non le nombre.
- Rien compris mais bon, je vous fais confiance…

Tu parles, elle n’avait surtout pas le choix. Aussi saisit-elle elle-même l’anneau du heurtoir, frappa un coup et attendit. Aussitôt, l’on entendit un déclic, et le heurtoir sembla s’avancer de quelques centimètres. Ca ne lui plaisait pas du tout, mais à présent, ils n’avaient plus le choix. Elle souleva le heurtoir et frappa à nouveau trois coups. Et là, miracle, la porte s’ouvrit vers l’intérieur.

Jesse saisit son pistolet à sa ceinture, arma le chien, et avança lentement dans le passage creusé à même la roche. Ils parcoururent ainsi trois mètres avant d’arriver dans une immense grotte, enfin si on pouvait dignement appeler cet endroit une grotte, car tout avait été meublé avec goût, tendu de tissus chatoyant oranges et fuchsia à la mode indienne, des coussins aux couleurs vives et des sièges en cuir, tables basses richement décorées, un véritable décor d’orient. Ca lui rappelait un peu le salon de son amie Ysao à Djamila.

De petites ouvertures dans la roche, permettait à la lumière d’éclairer suffisamment l’endroit pour ne pas avoir à utiliser de lampe, même si partout étaient suspendues, ces magnifiques lampes djamiliennes (comprendre origine marocaine), délicatement ouvragées dans le fer.

Mais à peine eurent-ils le temps de découvrir cet incroyable décor qu’un grand cri se fit entendre et Jesse se vit chargée par un homme en armure, cote de maille, et heaume, portant le fameux habit des croisés, la tunique blanche à croix rouge. Elle ne lui laissa pas le temps d’abattre son épée sur elle, tirant avant qu’il ne l’atteigne.

92.

Jesse debout à côté du cadavre de ce type qu’elle venait d’abattre, regardait le professeur penché au dessus de l’homme.
- Mais vous êtes folle !! Vous venez de tuer un templier !!! C’est incroyable !! On rencontre un templier, et elle le tue !
- Que vouliez vous que je fasse, lui tendre la main pour faire les présentations alors que ce type voulait me tuer ??
- Vous auriez au moins pu éviter de viser le cœur!

Jesse haussa les épaules.
Mais voilà que le soit disant cadavre ouvrit soudain les yeux, et repoussa brusquement le professeur, pour se redresser, constatant avec une grimace que sa tunique portait désormais un trou.

- Il n’est pas encore né celui qui me tuera !

La pirate fronça les sourcils et regarda son pistolet, comme si ce dernier avait eu un défaut. Elle était pourtant certaine d’avoir tiré. Et puis le professeur ne venait-il pas de lui dire que…

- Mais je vous ai tiré dessus !!
- En effet, mais on ne me tue pas si facilement. Qui êtes vous ?? Et que venez-vous faire chez moi ?? Personne n’est jamais venu ici, personne n’a jamais su trouver le passage. Comment avez-vous fait ??

Le professeur lui se remettait peu à peu du choc. Il avait vu la blessure, oui ça il en était sûr. C’était étrange, tout comme de trouver cet homme ici, ce templier venu d’un autre temps. Qui plus est qui parlait parfaitement la langue universelle. Jesse quand à elle, surveillait ses mouvements au cas où il voulait encore s’emparer de son épée, une arme lourde, immense, archaïque.

- Je suis Lady Sparrow et …. Je viens chercher le sabre de Saladin.


Les hommes ramaient avec énergie, pour ramener la chaloupe au navire. Jesse, air satisfait de celle qui avait obtenu ce qu’elle voulait, se tenait à l’avant de la chaloupe, et souriait en regardant le White Star qui se profilait, la main sur la garde de ce cimeterre que le templier lui avait finalement confié, non sans d’ardentes tractations. Il avait refusé dans un premier temps, après tout, c’était une relique très importante pour les templiers, un souvenir ramené des croisades, mais bien plus encore, c’était un symbole d’un traité de paix entre deux peuples, deux religions…

Il n’avait pas trop compris du reste, pourquoi l’arme intéressait la pirate, et elle n’aurait su le dire. Seul le Sage détenait le secret de cette arme, et si Dante les avait accompagné, lui aussi aurait su.
Enfin quand il avait su que c’était le Sage qui avait envoyé la pirate, les âpres négociations avaient aussitôt pris fin.

Quant au professeur, il était comme assommé. L’homme s’était finalement présenté, non sans un sourire de malice, et cela plus que de le voir se relever sous la balle de la pirate, avait achevé le professeur. Comment le dernier maître du temple avait-il pu échapper à l’histoire ?... Ce devait être encore un de ces nouveaux mystères des voyageurs. Barossa aurait souhaité que le templier les accompagnât, pour discuter un peu, pour en découvrir d’avantage, mais l’homme avait refusé. Le Pic de Dante était devenu sa retraite définitive, son île de piété. Il avait pourtant offert un présent précieux pour l’érudit, un journal où il avait noté en quelque sorte, ses mémoires…. Les mémoires de Jacques de Molay.

Quand la chaloupe heurta le bastingage du navire, le professeur s’extirpa de ses pensées pour grimper l’échelle de corde, à la suite de la pirate qui bondit promptement sur le pont.
Celle-ci plutôt inquiète, chercha les deux seconds du regard, Xit et Yao en espérant que l’homme s’était tenu à carreau pendant son escapade sur le pic.

Invisible n'était pas mécontent que tout cela prenne fin. L'étroitesse des lieux l'avait obligé à marcher à la fin et il avait craint ainsi être découvert.

Ce qu'il avait pu entendre de la conversation était hautement intéressant.

Le maître n'était pas au mieux de sa forme.

Sans doute pourrait-il donc le forcer à lui donner quelques récompenses avant de tout lui livrer.

Comme le droit de se poser un peu. D'accord, il était un Démon et il ne connaissait ni la peur, ni la fatigue, ni la douleur, du moins de ce côté-ci du monde. Mais cela ne l'empêchait pas d'être fainéant.

93.

*tout s’est bien passé ?*
*oui parfaitement*
*plus d’impression bizarre ?*
*non, plus rien ! et j’en suis fort soulagé, c’est comme les rats, je ne supporte pas*

Jesse sourit, puis tenant toujours dans sa main, le fourreau de l’arme confiée par le templier, elle se dirigea vers leur invité naufragé.

- Tout va bien ? Pour ma part, mission accomplie, nous pouvons mettre dès à présent le cap sur Utopia. Si tout se passe bien, nous y serons après demain soir. Est-ce que cela vous convient ?

Et oui ! Ayant trouvé le fameux « trésor », elle était à présent de fort bonne humeur et faisait joyeusement partager, ayant oublié combien il pouvait être désagréable.

La vague de feu est si violente et surprenante que je ne peux m'empêcher de me pousser précipitamment, m'éloignant d'un bon mètre, tout en fronçant les sourcils de rage. M'aurait-elle ainsi agressé tandis que je possédais mes pleins pouvoirs, et je l'aurai écartelée sur place.

Mais à son regard très surpris, je vois qu'elle ne comprends pas. Mon regard glisse alors vers l'objet qu'elle a récupéré. Il n'y a donc aucun doute.

Je la fixe du regard. Pour détourner son attention de ma réaction, la faire réagir sur un autre domaine. Vite. Et je sais quel sujet peut la mettre très en colère et hors d'elle, au point qu'elle pourrait, au moins pendant deux jours, ne plus penser à cet incident où j'ai perdu de mon habituel contrôle de moi. Mais j'ai été surpris.

Après-demain soir ? C'est bien. Et moins bien. J'avais entendu vanté les mérites de ce bateau. Je suis un peu déçu qu'il n'aille pas plus vite qu'une vulgaire barque de pêche. Pourtant, pourtant... On dit qu'il pourrait se trouver de l'autre côté du monde en moins d'une nuit. On dit aussi que pour réussir un tel exploit, il lui faut un véritable capitaine à la barre. Est-ce une légende ?

Ma question reste ouverte. Elle peut comprendre que je remets en cause son bateau, ou ses propres compétences... M'est avis qu'elle va exploser.

94.

En combattante chevronnée, elle n’aurait pu manquer de remarquer la vive réaction du naufragé et le regard vers le sabre de Saladin. L’avait-il reconnu ? En tout cas, il avait réagi comme quelqu’un qu’elle aurait attaqué. Alors oui elle fut surprise, mais le discours qu’il lui tint ensuite, empêcha toute question sur cette attitude. Quand il referma sa bouche, elle n’eut qu’une envie, le balancer à la flotte. Cependant il y avait ses menaces et plus elle le découvrait, plus elle comprenait qu’elle n’avait pas affaire à quelqu’un d’ordinaire. Un exilé oui, mais il y avait autre chose. Cette misérable tentative pour noyer le poisson, ne fit que renforcer cette impression.
Cependant, il ne serait pas dit qu’on puisse l’insulter, et pire insulter son navire sans en être aussitôt puni.

- Vous avez entendu parler des mérites de ce navire ? Voyez-vous ça ! Plutôt surprenant, vu qu’il n’a plus navigué depuis dix longues années. Quant à sa vitesse, si vous pensez aller plus vite dans une barque de pêche, je peux vous laisser en faire l’expérience. Une chaloupe, des rames, du pain sec et un peu d’eau, cela devrait suffire à vous faire ravaler votre langue !

Jesse se tourna vers les Taïnos pour les prendre à témoin.

- Mon navire est le plus rapide, mais surtout le plus puissant des navires de ce monde. Ne remettez plus jamais en cause, ni les capacités de ce navire, ni les miennes. J’aurai du vous laisser crever en pleine mer, plutôt que de vous porter secours.

Et comme pour approuver, Parangon qui était hors de lui, fit brusquement et violemment tanguer le navire à tribord, jetant quelques hommes sur le plancher, tandis que Jesse qui avait senti ses intentions, se retint rapidement à la lisse. Il contrebalança aussitôt à bâbord, remontant en même temps une lame qui aurait fait perdre l’équilibre au meilleur des marins. Puis il se laissa tomber avec force dans le creux de la vague, secouant tous les hommes à bord.

Ayant peu le pied marin, surpris par le brusque mouvement du navire, j'avais nécessairement moins de chance que les marins de m'en sortir. Je finis donc au sol, sur le pont, sous le regard goguenard du capitaine et des membres d'équipage qui ne purent s'empêcher de clamer leur joie à cette réaction du bateau.

Par tous les Démons et ce Maudit Sage ! Quelle était donc la nature de ce navire, pour qu'il puisse réagir ainsi à ma provocation et surtout à la colère de la capitaine ? Je commençais à mieux comprendre les étrangetés depuis que j'étais ici : pas de rats à bord, un bateau d'une propreté irréprochable, le fait que la capitaine soit informée de la présence d'Invisible... Décidément, cette capitaine cachait bien son jeu. Quand j'avais appris que ce bouffon de Sage l'avait désignée pour aller chasser les Démons que j'avais invoqués, je m'en serai rouler au sol de rire. Mais maintenant, avec cette arme malfaisante et ce que je découvrais peu à peu, je commençais à croire qu'elle avait quelque chose, même s'il faudrait qu'elle fasse preuve de beaucoup de qualités pour vaincre les 9 cercles de Démons que j'avais invoqués...

Sans un mot, je me redresse, m’époussette.

-"Bravo. Belle démonstration. Mais totalement inefficace. Nous n'avons pas bougé d'un seul mètre. Menez-moi à ma destination en moins d'une journée, et alors, capitaine, vous pourrez dire que vous m'avez impressionné."

Je tape alors du pied sur le pont.

-"Et c'est valable pour toi."

95.

* Je n'irai pas plus loin, tant que cet homme restera à bord!*

Naturellement, il n'avait pas eu besoin de partager ses pensées qu'elle avait deviné à quel point les remarques du naufragé, avaient énervé Parangon. Et combien cette colère était partagée.

Sans parler du fait qu'il semblait avoir compris la nature du navire. Dans ce cas, il n'était plus utile de jouer au chat et à la souris.
Chaque homme d'équipage perçut aussitôt le changement, et comprit ce qui s'était passé. Quand le White Star défiant toutes les lois de la nature et des courants marins, se figea sur place. La réponse au naufragé était évidente:

- Parfait!! Nous voilà immobilisés par votre faute! Alors si vous souhaitez arriver rapidement à bon port, je vous laisse réfléchir à un discours plus adapté à me faire entendre, sans que vous ne remettiez en cause, mes capacités et celles de mon navire.
C'est à vous de voir.

Pourquoi ne suis-je pas surpris ? Le déni. Vous vivez dans le déni. Le déni de justice. Le déni de responsabilité. Le déni du droit. Et maintenant, plutôt que démontrer ce que vous prétendez, vous vous réfugiez une fois de plus dans le déni. C'est tellement plus facile. Et si peu digne de vous. A moins que non. En tant qu'amie du soi-disant Sage, sans doute faut-il que je ne m'étonne pas de cette réaction du déni enfantin. Finalement, vous ne me décevez même pas.

Puis, je fais demi-tour et me dirige vers ma cabine.

Reste à savoir maintenant jusqu'à quelles souffrances vous êtes prête à mener votre équipage dans votre entêtement à ne pas faire une chose pourtant si simple... Ma nature me permet de me passer des futilités et impératifs humains longtemps. Et vous ?