A la découverte d'Arcadia

(avant... marché d'Arcadie) 20.

Hein ?

Jesse écarquilla les yeux à cette étrange proposition, enfin cette blague. Il parlait de présentation officielle à sa famille… Sa famille ? Qu’est-ce que cela signifiait ? Il avait une famille ? Elle ouvrit la bouche pour lui poser la question, levant la main pour le retenir mais le Griffon avait déjà bondi dans le chariot et tout à coup elle comprit qu’il avait délibérément détourné la question. Alors voilà, c’était sa famille le problème ? C’était étrange, elle n’avait jamais songé qu’un griffon puisse avoir une famille, mais après tout pourquoi pas ?

Elle réalisa qu’elle était bien inculte sur la question et que cela ne pourrait pas durer. Jesse regarda la vallée à leur pied, et plissant les yeux, observa le charmant paysage. Soit, elle trouverait ce qu’elle était venue chercher. La pirate sortit alors sa boussole, et la souleva légèrement devant ses yeux. L’aiguille semblait s’être endormie puis soudain frémit et….s’agita à droite, à gauche, fit plusieurs tours très vite sur elle-même et se figea brusquement au sud-est.

- Hmm… soit ! Nous irons par là !

Jesse rejoint les autres à bord du chariot et reprit les rênes des mains de Goltech.

- Bien, nous allons redescendre dans la vallée et prendre dans cette direction, elle nous mènera bien quelque part, un village, une ville. Et après nous verrons bien.

Puis se tournant vers le Griffon, elle ajouta :

- N’est-ce pas Griffon ? On ne trouvera peut-être pas ta famille, mais je compte bien en apprendre plus au sujet de ce pays, et pour ce faire, puisque l’oracle ne m’a pas été d’une grande aide, il ne nous reste plus qu’à partir à la découverte ! Il y a certaines questions qui n’ont pas besoin d’un savoir surnaturel pour trouver réponse.

Et Jesse lança les chevaux au trot, le long du chemin qui redescendait vers la vallée. Et tandis qu’ils cheminaient bon train en direction du sud est, elle se mit à raconter comment elle avait fait la connaissance d’un vieux sage, dans une île très très très loin d’ici. L’homme connaissait toutes les légendes de son pays et il lui avait parlé de la tradition de son peuple de transmettre l’histoire. Ainsi si elle ne trouverait pas de guide pour tous ses voyages, elle en trouverait un à chacun de ses voyages. Les rencontres, c’était ça la richesse de pouvoir voyager et justement, avec un sourire elle ajouta à l’intention du Griffon : A peine avait-elle posé le pied sur ces terres arcadiennes qu’elle avait fait la plus étonnante des rencontres, elle n’en attendait pas moins du reste de sa visite.
Et quand ils aperçurent les toits d’un village, Jesse annonça qu’ils allaient faire une halte.

- Tiens pourquoi pas dans cette auberge ? Elle m’a l’air très accueillante.

Elle tira sur les rênes, freina et bloqua la roue du chariot et bondit à terre.

- Tu viens Griffon ? Tu dois avoir faim je suppose non ? Nous allons voir l’accueil que les gens de la région réservent aux étrangers. Hum enfin toi tu n’es pas étranger mais allez, si tu préfères, on va dire que tu fais partie depuis toujours de mon équipage, ainsi personne ne s’avisera de t’embêter. Du moins ils y auront tout intérêt. Xit, Goltech ? Je vous laisse vous occuper des chevaux et rejoignez nous ensuite.

Et Jesse se dirigea vers l’entrée.

Toujours assis le nez au vent, il avait regardé le paysage qui lui évoquait de vagues souvenirs, écoutant la pirate parler des voyages. Il aurait bien aimé partir lui aussi, trouver d'autres endroits ou peut-être il serait mieux reçu. Trouver une oracle moins lamentable qui lui donnerait une vraie solution.
Et si ce n'était pas le cas, il aurait au moins rencontré d'autres gens...
La pirate arrêta le charriot devant une auberge et il la suivit quand elle entra.
Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas vu l'intérieur d'une maison et il l'examina avec curiosité, allant jusqu'à renifler le bas du comptoir.
Ca sentait l'alcool renversé, et heu... Pwaaaah!
Dégoûtant, avec son odorat de griffon, c'était totalement insupportable!
Il recula brusquement et battit en retraite auprès de la table ou s'était installé la pirate.
Il grimpa tant bien que mal sur une chaise, attendant la suite.
Suite qui ne tarda pas à se matérialiser sous la forme d'un serveur revêche qui exigea qu'il descende de là et rejoigne l'écurie, lieu adapté aux animaux.
Griffon regarda le serveur
- Suis pas un animal et il nous faut des chambres. En attendant, je prendrais un quart de boeuf, et Madame, une bouteille de rhum, et pas de la camelote!
Il se souvenait de la bouteille qu'elle avait siroté dans sa chambre et était quasiment certain de tomber juste.
Le serveur, interloqué, repartit sans rien dire et une grosse brute qui devait être le patron arriva bientôt en demandant
- L'est ou le monstre qui cause?
Hé be, l'hospitalité ici, c'était aussi bien qu'en ville!
Il regarda la pirate et leva les yeux au ciel

21.

Jesse fit une grimace sceptique en le voyant s’installer sur la chaise. Les proportions de Griffons ne lui permettaient pas vraiment ce genre de posture, mais si coincé fut-il au final, il y a parvint et garda l’équilibre sans faire de chichi pour le plus grand plaisir de la pirate qui suivit avec le même regard curieux, l’échange entre le serveur et le Griffon, puis avec le gérant de l’auberge.

Jesse leva finalement les yeux sur l’aubergiste, glissa sa main dans la poche de son manteau et jeta quelques pièces sur la table.

- T’as des clients qui vont te payer sans discuter, alors moi je te demande de nous servir sans discuter et qui plus est d’avoir le plus grand respect pour mon ami, sinon tu pourrais bien recevoir une monstrueuse correction.

Jesse dégagea le pan de son manteau qui dissimulait le pistolet qu’elle portait à sa ceinture.

- Allez, tu ferais mieux de t’activer, mon ami a un sacré appétit et si on ne lui donne pas à manger, il pourrait bien s’énerver. Et tu n’as pas envie que le griffon s’énerve n’est-ce pas ?

La pirate afficha un sourire en coin, puis comme l’aubergiste l’air renfrogné s’était enfin retiré pour s’occuper de leur commande, elle se pencha pour parler au griffon.

- Je vois qu’à présent que tu as retrouvé ta langue, tu ne te prives pas de l’utiliser. Ce n’est pas un reproche, juste………. Que je me demande pourquoi tu as attendu si longtemps avant de me parler ?

Puis comme le serveur venait de déposer la bouteille et qu’il s’apprêtait à se retirer après lui avoir servi un verre en reprenant la bouteille, elle la lui reprit promptement, en lui adressant un regard de reproche. L’autre ne demanda pas son reste.

- Hum….enfin, c’est comme tout le reste, si tu n’as pas envie de me le dire, je n’insisterai pas. J’aimerai pourtant que tu comprennes que pour moi, tu es… je veux dire que c’est la première fois que je rencontre un griffon, et autant je t’admire, autant j’aimerai savoir qui tu es vraiment, apprendre à te connaitre… du moins ce que tu jugeras bon de me raconter.

L'admirer...? Il la dévisagea un long moment avant d'ouvrir le bec

- Pourquoi t'aurais-je parlé? Quand tu m'as sauvé, il y avait longtemps que les hommes n'étaient que source d'ennui et de souffrance pour moi. A tel point qu'à cet instant-là j'allais à la rencontre de l'autre brute et de son arc, plutôt que de continuer à me trainer misérablement comme je le faisais depuis trop longtemps, en butte au mépris général.
J'ai pensé que mon apparence était suffisamment monstrueuse pour ne pas y ajouter...

Il plongea alors ses yeux d'or dans ceux de la pirate en face de lui, cherchant à sonder le fond de ses pensées
- Tous les griffons ne parlent pas. En fait, très peu de griffons parlent. Peut-être même que je suis le seul. Je n'avais pas envie de rendre les choses encore plus compliquées, pour toi comme pour moi.
Et puis il y avait trop longtemps qu'on me traitait comme un animal, j'avais presque oublié... ce que c'était...

Il soupira et baissa les yeux
- Je ne t'ai pas fait confiance. J'ai cru que tu me faisais soigner par intérêt... que tu étais une chasseuse de prime... Que tu me vendrais pour le cirque...
Et puis... Je dois être un cynique désabusé mais... Je ne savais pas pas pourquoi tu m'aidais. Je ne le sais toujours pas, remarque, mais désormais, même sans le comprendre, j'ai le sentiment que tu n'attends rien de moi et j'admets qu'il puisse en être ainsi.
J'ai honte de t'avoir soupçonnée: tu es toi aussi très différente de ce que je connais, et j'ai sans doute autant à apprendre sur toi que toi sur moi.

Pffffiou qu'est-ce qu'il avait jacté. Son silence était également du au fait qu'il ne voulait pas qu'elle sache... ce qu'il était réellement, ou plutôt ce qu'il avait été.
Remuer toutes ces pensées l'avait épuisé, et machinalement, il attrapa le verre de rhum qu'elle n'avait pas touché entre ses serres et le vida dans son gosier pour se remettre de ses émotions.
Puis suivant une impulsion subite, il descendit de son perchoir et fit le tour de la table pour venir auprès de la pirate. Il s'agrippa au rebord de sa chaise pour se redresser et poser sa tête sur l'épaule de la pirate
- Je te demande pardon... De t'avoir prise pour... pour... De ne pas avoir eu confiance en toi malgré ce que tu faisais pour moi...

22. Sarah Brightman - beautiful

Jesse fut émue par le triste aveu du griffon. Fallait-il être désespéré pour désirer la mort, fallait-il avoir souffert pour se jeter aux pieds de la grande faucheuse. Elle se félicita d’être arrivée à temps et quelque part, elle remercia la tisseuse de son destin de lui avoir fait croiser la route du Griffon à temps.

Puis le griffon lui parla du fait qu’il pouvait parler et Jesse apprit avec surprise qu’il pensait être le seul à pouvoir le faire. Ainsi il n’était pas comme les autres, ainsi ce griffon était particulier et en quelque part, Jesse eut la sensation de l’avoir toujours su. Ou peut-être se faisait-elle des idées. Peut-être était-ce du à ce regard qu’il posait sur elle, cette façon de vouloir faire comme elle, de vouloir s’assoir sur cette chaise ridicule et….quand il lui parla du fait qu’il avait été traité comme un animal, ce qui incluait le fait qu’il ne se considérait pas comme tel, elle tiqua, comme s’il manquait une pièce à cette histoire une pièce qu’elle sentait qu’il se réservait dans son cœur. Elle comprit alors qu’il lui faudrait plus que sa confiance pour qu’il lui livre cette pièce manquante, mais il lui faudrait surtout beaucoup de patience. Et pour cette incroyable créature, fusse-elle autre chose qu’un animal, Jesse était prête à attendre, même si la patience n’avait jamais été une de ses qualités. Elle apprendrait.

Elle rit tandis qu’il lui confiait l’avoir prise pour une chasseuse de prime, et sourit, regard brillant tandis qu’il lui disait sa surprise sur le fait qu’elle n’attendait rien de lui, en échange de ce qu’elle lui donnait. Puis vinrent les excuses et Jesse resta un instant silencieuse tandis qu’il appuyait sa tête sur son épaule. Elle hésita un instant sur le geste à rendre, puis comme il avait eu le courage de lui avouer tout ça, elle prit celui de le serrer un instant dans ses bras, sentant le doux contact des plumes et cette fourrure si douce, sous ses mains et contre sa joue.
Elle s’écarta enfin, pour plonger ses yeux dans ceux du griffon, et d’une voix douce et confiante lui répondit :

- Si je peux encore t’offrir une chose, Griffon, ça sera la fierté d’être ce que tu es. Tu n’es pas comme les autres, tu es unique, et c’est ce que j’admire chez toi. Quand je t’ai vu, tu n’étais certes pas reluisant, mais je devinais déjà la chance que j’avais d’avoir croisé ta route, celle d’une créature merveilleuse parce qu’unique. Certes peut-être cela est-il difficile à vivre pour toi, je veux bien te croire et j’espère que tu ne m’en voudras pas d’admirer justement ce qui t’a créé tant de problème. J’aimerai que tu parviennes un jour à être fier de toi, de ton apparence, de ta différence et de tout ce qui fait de toi un Griffon.

Elle s’interrompit, le dévisageant toujours, et continua :

- Je t’assure qu’à mes yeux, tu n’as rien de monstrueux, ce sont plutôt les êtres qui se jugent meilleurs que toi qui sont des monstres. Cultive ta différence Griffon, et sois-en fier, quoique tu portes en ton cœur, montre-leur ce que tu vaux.

Elle inspira, puis conclut :

- Tu as peut-être du mal à comprendre mon admiration. Peut-être que si tu connaissais mon parcours, tu apprendrais que j’ai passé ma vie à parcourir le monde à la recherche de trésors, de lieux rares, de rencontres exceptionnelles… Et la nôtre fut plus qu’exceptionnelle, voilà pourquoi je n’attends rien de toi, du moins rien d’autre de plus que ton amitié car la mienne t’est déjà acquise. Mon amitié et mon respect.

L'étreinte lui était douce, parce que le geste était tendre, et surtout parce qu'elle ne lui caressait pas la tête comme à un animal.
Il sut à cet instant-là qu'il pourrait difficilement quitter cette femme étrange qui avait su le traiter comme il n'espérait plus l'être.
Le discours qu'elle venait du lui faire était bouleversant pour lui et il ne sut que répondre.
Il retourna donc à son siège en silence, la gorge serrée par l'émotion, et quand son quartier de viande arriva enfin, il n'y toucha qu'à peine, chipotant du bout de ses griffes dans l'assiette sans vraiment se décider à l'attaquer.
Quand la pirate eut terminé son repas, il demanda qu'ils montent se coucher et elle ne s'y opposa pas.

Ils se rendirent donc à la chambre qui avait été attribuée à la pirate et Griffon ne chercha même pas à savoir si la pirate souhaitait partager sa chambre avec lui, il s'y installa d'autorité.
Cette fois, il regarda ses griffes pendant qu'elle se débarrassait de ses vêtements, songeant que ça serait profiter de ce qu'il n'avait pas voulu lui dire toute la vérité: elle n'aurait sûrement plus agi comme ça si elle avait su.
Il attendit donc qu'elle se soit glissée sous les draps pour grimper sur le lit et venir se blottir contre la pirate.
Longtemps il resta à la regarder une fois qu'elle se fut endormie, se demandant ce que ce serait d'être un homme à nouveau, ce qu'elle dirait s'il lui était donné de reprendre son apparence.
Est-ce qu'elle lui en voudrait de le lui avoir caché?
Il n'avait toujours pas le courage de lui expliquer, même après ce qu'elle venait de lui dire. Quel genre d'homme gardait encore un tel secret après s'être entendu dire qu'elle l'admirait, qu'il devait être fier de ce qu'il était, qu'il était unique... Sans parler du respect qu'il avait totalement oublié en vivant dans la rue. Au fond, c'était lui qui s'était transformé en animal, en oubliant tous ces sentiments qui faisaient de lui un humain.
Il regarda le visage de la dormeuse et leva la main pour relever la mèche rebelle.
C'est là qu'il réalisa qu'avec une serre de rapace, l'exercice était une gageure.
Dépité, il finit par s'endormir à son tour.

Il fut réveillé par les premiers rayons du soleil, et ouvrit les yeux pour découvrir la pirate serrée dans ses bras.
Dans ses bras??
Il fit un bond en arrière, se disant qu'elle allait le tuer.
Il serait tombé lourdement sur le sol s'il n'avait pas déployé ses ailes pour retomber sur ses pattes.
Comment ça, ses ailes?
Et qu'est-ce qu'il fichait à quatre pattes!?
Oh... Il avait rêvé n'est-ce pas...?
Voilà une journée qui commençait bien...
Il se dressa sur ses pattes arrières pour regarder la pirate sur le lit.
C'était dingue de réalité, il lui semblait encore sentir la chaleur de sa peau sur la sienne...
Il fallait qu'il arrête de rêver!
Tentant de prendre un ton léger, il murmura
- Bonjour...

23.

Elle avait noté le manque d’appétit, étonnant en sachant ce qu’il pouvait engloutir, mais n’avait pas relevé, sentant qu’il avait besoin de digérer leur conversation, et craignant d’en dire trop ou de le blesser involontairement en insistant. Alors quand il demanda à ce qu’ils se rendent dans leur chambre, Jesse lui accorda aussitôt sa requête. De toute façon, demain la suite de leur voyage les attendait, et une bonne nuit de repos ne serait donc pas du luxe.

Et tandis qu’il grimpait dans le lit pour venir s’étendre à ses côtés, elle sourit et ferma les yeux, en songeant avant de s’endormir qu’il était étonnant qu’elle se soit habituée si vite à sa présence mais que pourtant elle aurait bien aimé le savoir heureux et quelque chose lui disait que ce n’était pas le cas. Après tout, elle n’avait fait que le sauver de ce boucher qui voulait s’en prendre à lui, alors qu’il venait de lui avouer avoir cherché la mort. Et tandis que le sommeil la gagnait, elle se demanda si elle saurait un jour, lui redonner goût à la vie.

La nuit s’écoula rapidement comme l’eau dans le lit d’une rivière. Et tandis que le sommeil l’abandonnait peu à peu, elle garda de ses songes une sensation des plus douces et des plus troublantes, l’impression d’avoir passé la nuit dans les bras solides d’un homme, chaleur et présence rassurante et puis cette envie d’en obtenir plus, et puis…
Et puis plus rien. Le rêve s’acheva brusquement et quand un bruit tira définitivement la pirate hors de ses songes, elle se trouva nez à « nez » avec le griffon qui la regardait…

- Bonjour

Elle cligna des yeux, et lui adressa un sourire dépité:
- Bonjour…

En poussant un gémissement frustré, elle se laissa retomber dans son oreiller et marmonna quelques mots incompréhensibles. Pourquoi gardait-elle cette sensation de frustration ? Elle avait déjà oublié son rêve, et pourtant… quelque chose auquel elle essayait de se raccrocher, était là, dans un coin de son esprit et lui soufflait qu’elle venait de rater un truc important. Voilà qui ne l’aiderait pas à se lever du bon pied. Bien au contraire.

- Grmbl.. j’ai fait un drôle de rêve…….. ça m’énerve de ne plus m’en rappeler à présent…….pfff … bon.

Elle se mit finalement assise sur le bord du lit, le drap la découvrant à moitié, les cheveux en batailles et l’air boudeur.

- Va falloir qu’on se remette en route si on veut visiter le pays.

En soupirant elle se leva, abandonnant définitivement le drap et se dirigea vers le coin ou un broc avait été disposé avec une bassine et une serviette. Elle se fit une rapide toilette, avant de s’habiller, mais en se regardant dans le miroir, elle comprit qu’elle ne se débarrasserait pas de sitôt de cette impression de manque.

- Fichtre… je crois que j’ai besoin d’un café ! Tu ……..hum un petit déjeuner ça te dit ?

Elle s’habilla, puis se dirigea, le griffon sur ses pas vers la salle du bas, où elle passa commande d’un solide petit déjeuner pour elle et le Griffon. Les Taïnos eux, étaient déjà dehors à discuter. Elle n’avait pas à s’inquiéter pour eux. C’est là qu’elle remarqua une voyageuse….accompagnée, une jeune femme vêtue de manière plutôt élégante, même si la mode était indéniablement arcadienne, et la gamine qui l’accompagnait, on aurait dit une poupée tant ses traits étaient délicats et.....
Avant que Jesse ou sa mère n’aient eu le temps de dire ouf, elle se précipita dès qu’elle vit le Griffon.

- Ohhhh qu’il est beauuu !!

Elle n'était pas exactement ravie de le voir, c'était une évidence.
Est-ce qu'il l'avait griffée en se levant? Ou est-ce qu'il avait pris trop de place, volé toutes les couvertures?
Lui aussi avait fait un drôle de rêve, pas le même sans aucun doute.
Elle s'était relevée, laissant glisser les draps, et il s'était senti "rougir" sous ses plumes

- Oui on n'a qu'à se remettre en route...

Comme elle se mettait à sa toilette, sans se cacher le moins du monde, il alla regarder par la fenêtre, le sang lui battant aux tempes. Il faudrait qu'il lui dise de ne pas se déshabiller quand il était là, mais comment lui annoncer une telle chose sans en expliquer plus qu'il ne le souhaitait?
Il la vit avec soulagement terminer de s'habiller et sortir pour descendre déjeuner.
Il hésitait encore à savoir s'il remonterait sur la chaise ou pas quand il fut tiré de ses pensées par un cri strident

- Ohhhh qu’il est beauuu !!

Il eut un brusque mouvement de recul et rampa sous la table, se collant contre les jambes de la pirate pour fuir l'enfant qui lui fonçait dessus.
- Miou miou! Heu piou piou ! Gentiiiiiil ! Viens !

Voyant le peu de succès de sa méthode, elle changea de tactique et prit dans son assiette un morceau de pain qu'elle tendit sous la table
- Viens ! Viens manger le bon miam miam !!

Griffon recula encore davantage, finissant encastré sous la chaise de Jesse tandis que la petite fille s'approchait, ne comprenant à l'évidence pas ses gestes. Elle tendit la main et caressa doucement sa tête, puis agrippant la naissance de ses ailes, le tira de toutes ses forces vers elle, imprimant de profondes marques au parquet comme il freinait de toutes ses griffes

- Ohhhh joli minet !!

Elle se lança alors dans une séance de caresses intensives, ébouriffant les plumes du griffon récalcitrant qui semblait au supplice: bien sûr qu'elle avait les mains douces, bien sûr qu'il y a quelques jours à peine il aurait été reconnaissant d'une telle marque d'attention... Mais maintenant, les choses avaient changé, et décidément, il n'était pas un jouet!
La petite fille gâtée se tourna alors vers celle qui l'accompagnait

- Je le veuuuuux! Achète-le! C'est mieux que mon poney!

Qwaaaaa? L'acheter? M'enfin!? Il n'était pas à vendre! Il jeta un regard implorant à la pirate:
- Pitié... Je suis paaaas une monture pour les mômes...

24.

Jesse sentit Griffon pousser contre ses jambes. Le pauvre tentait de battre en retraite face aux mains avides de la gamine trop curieuse et surtout très mal élevée. Alors quand elle exigea de sa mère qu’elle lui achetât le Griffon, s’en fut trop pour Jesse qui tonna, en frappant la table de son point :

- Ca suffit !!

La fillette sursauta, de même que la mère qui regarda Jesse les yeux écarquillés.
- Mais enfin ?
- Le Griffon n’est pas à vendre, il n’est pas un bien qui s’achète ou qui se vend, il est seul maitre de son destin.

Elle se leva, main sur son sabre.

- Madame, veuillez récupérer votre rejeton, ou je me verrai obligée de la corriger moi-même pour ce manque de savoir vivre.
- Oh !

Après ce cri indigné, la mère s’empressa de récupérer l’enfant qui hurlait de contrariété au grand dam de Jesse. Elle foudroya la pirate du regard, mais ne prit pas le risque de l’affronter et s’esquiva précipitamment, entraînant sa précieuse petite peste par la main.

- Rah….. quelle plaie ! S’exclama Jesse qui finit par se rassoir et souleva la nappe de coton pour jeter un œil en dessous.
- Tout va bien là-dessous ? Tu peux sortir à présent, le danger est écarté.

La pirate semblait avoir compris la situation et Griffon ressortit rassuré, les plumes en bataille mais à l'évidence il n'avait rien de cassé.

- Ca va oui. J'ai eu un peu peur de me retrouver avec un ruban rose autour du cou et des barrettes sur les plumes...

Il la regarda en silence quelques secondes avant d'ajouter

- Merci.
Je suis sûr qu'elle t'aurait proposé beaucoup d'argent.

Après avoir bien vérifié que la peste était partie, il grimpa sur sa chaise et attendit qu'on lui ramène la carcasse de la veille, qu'il dévora cette fois-ci: si d'autres gamins odieux devaient se présenter, il devait être en pleine forme pour se défendre, sans quoi il finirait avec des habits ridicules à faire le beau pour un susucre, c'était certain.Le repas achevé, ils retrouvèrent les Taïnos et reprirent leur route, Griffon toujours à son poste d'observation sur le siège à côté de la conductrice, à laquelle une fois de plus il devait une fière chandelle.
Il regarda la pirate examiner sa boussole qui s'affolait avec curiosité, mais ne dit rien, même si le fonctionnement de cet objet lui paraissait plus qu'étrange par rapport à celles qu'il avait pu voir par le passé.
La route défilait devant leurs yeux, sans brigands cette fois, et sans incidents.
Comme la pirate proposait à nouveau de s'arrêter dans une auberge, pour déjeuner cette fois-ci, il déclara soudain

- N'empêche, ça pourrait être un moyen de mériter ma pitance: tu me vends à des familles riches, très cher, puis ensuite je me sauve. Et tu me revends à une autre.
Je suis sûr que tu peux empocher plus que je ne te coûte, comme ça!

Parce que pour le moment c'est sûr, il était plutôt du genre sac à ennuis qui coûte cher, et elle risquait tout de même de finir par s'en lasser.

25.

Jesse éclata de rire en entendant le constat du Griffon. Ca non, elle n’aurait jamais laissé personne le tourner en ridicule, c’était même inimaginable de le voir transformé en bête de cirque, non, ce serait comme trahir la chance qui lui permettait de faire tant de si belles découvertes et de merveilleuses rencontres.

Et c’est aussi pour cette raison que la proposition du Griffon la laissa perplexe.

- Tu es sérieux ? Tu veux vraiment jouer à ce jeu là ?... un peu risqué, imagine qu’ils t’enchaînent ou t’enferment dans une belle cage dorée, ou… que tu ne puisses plus t’enfuir. Et en plus, je ne suis pas vraiment dans la misère, mais …hum si jamais un jour, je devais avoir besoin d’un nouveau revenu, je me souviendrai de ta suggestion.

Elle lui fit un clin d’œil et claqua la langue pour faire accélérer l’attelage, voulant arriver à la prochaine auberge qu'ils trouveraient sur leur route, avant l'après-midi. La route s’annonçait plutôt bonne, régulière et droite, coupant à travers un très beau paysage.
Mais quand ils virent un village se profiler à l'horizon, une ombre lui cacha brusquement la lumière du soleil et aussitôt Jesse leva les yeux vers le ciel. Eblouie, elle mit sa main en visière et ce qu’elle crut voir, la stupéfia.

- Mais c’est quoia ça ??

Trop tard, ce qu’elle avait aperçu s’était évaporé. Et tandis qu’elle restait ainsi le nez en l’air, le chariot continua sa course et un cri la fit brusquement revenir à ses moutons, enfin à son attelage.

- Hoooo !

Jesse avait vu la femme au milieu de la route, une femme que les chevaux allaient renverser si elle ne les arrêtait pas rapidement. Elle tira de toutes ses forces sur les rênes, et à son grand soulagement, constata qu’ils s’étaient arrêtés à temps puisque la bonne femme n’avait pas jugé bon de s’écarter.

- M’enfin faites attention !
- C’est vous qui devriez regarder où vous allez, jeune fille.

Jesse fit aussitôt la grimace. Jeune fille, c’était qui cette bonne femme d’abord ? Et d’où sortait-elle ? Elle avait en tout cas une bien étrange allure avec ce visage sans âge et ces cheveux si blanc, ainsi que sa longue robe blanche qui descendait jusqu’à ses pieds.

- Où donc alliez-vous à ce rythme ? Vous avez l’air bien pressés, tant et si bien que vous en négligez vos chevaux. Celui-ci boîte.

Jesse écarquilla les yeux. Non mais de quoi elle se mêlait la vieille ? Enfin, elle n’avait pas l’air si vieille que ça, c’était trop bizarre…

Hum dans sa tête de Griffon, il n'avait pas vu si loin: on l'achetait, il se sauvait, point. Évidemment en pensant à des chaines et des cages, les choses étaient un peu plus complexes.
Il réfléchit à tous les ennuis possibles et examina méticuleusement les différentes possibilités pendant le reste du trajet, jusqu'à ce que la pirate pousse un cri et qu'ils manquent emplafonner une passante qui leur fit la leçon.
Griffon tiqua devant cette étrange apparition et descendit du charriot pour s'approcher, tournant autour de la femme pour l'examiner sous toutes les coutures.
Elle était étrange cette femme, et il n'aimait pas trop la manière dont elle le dévisageait en retour: pas comme une bête curieuse, juste comme si elle pouvait voir les pensées les plus secrètes de son cœur.
Il se planta finalement devant elle et s'assit, sans la lâcher des yeux avant de finalement laisser tomber quelques mots

- Vous êtes experte en chevaux? Ou c'est la nouvelle mode des brigands de donner des conseils pour mieux faucher les bourses?

Ouais parce qu'elle lui ferait pas croire qu'elle donnait des conseils comme ça, gratis, sans rien demander en échange.
Qu'est-ce qu'elle fichait plantée au milieu de la route, si ce n'était pas pour forcer les voyageurs innocents à s'arrêter pour mieux les dépouiller?!
Griffon n'était pas paranoïaque, juste prudent: une femme seule au milieu d'un chemin encore bien loin du village, c'était louche, et puis c'est tout!

- Non parce que pour les brigands on a déjà eu notre attaque quotidienne ce matin, alors c'est pas que j'ai pas envie de recommencer l'exercice mais disons qu'il faut pas abuser des bonnes choses...

Impassible, l'autre continuait à le regarder sans broncher

- Tu es bien bavard pour un griffon.
Enfin, je ne suis pas avec un groupe de malandrins, vous n'avez rien à craindre de ce côté-là.
Alors, que cherchez vous de si précieux que vous en oubliiez la plus élémentaire prudence?

Désignant d'une griffe la pirate, il répondit
- Elle cherche à apprendre des choses sur Arcadia
- Pourquoi ne réponds-tu pas à ses questions?
- Moi...? Hé bien... J'ai oublié les réponses, répondit-il d'un air penaud
- Je vois... Et pour ta part, que désires-tu?
Il hésita
- Rien.
- Voyez-vous cela... Ton cœur ne pense pas comme ton bec vient de le dire, mais passons.
Cette femme était une vraie sorcière, pour savoir autant de choses... Il tressaillit en repensant à cette horrible Circé qui était la cause de son état, se demandant si celle-ci était du même acabit.

Avançant vers Jesse, la femme demanda d'une voix douce
- Alors comme ça, vous cherchez à apprendre des choses sur Arcadia?

26.

Si au début, Griffon avait montré quelques timidités pour prendre la parole, sa timidité s’était ces derniers jours, complètement envolée, au grand soulagement de Jesse. Sauf en cet instant quand elle le vit aller à la rencontre de l’étrange femme. Et si lui se montrait plutôt confiant de s’approcher ainsi, la pirate ne pouvait s’empêcher de surveiller chacun des mouvements de l’inconnue, parée à intervenir au moindre geste offensif. Mais il en ressortit rapidement qu’elle n’avait aucune intention belliqueuse, au contraire.

Jesse ne perçut pas toute la conversation entre le griffon et la femme aux cheveux blancs, mais quand celle-ci vint à sa rencontre avec un sourire aimable, Jesse se détendit un peu.

- Alors comme ça, vous cherchez à apprendre des choses sur Arcadia?
- Oui c'est ça. Et vous êtes ?
- Finn Razelle, enchantée.
- hmm enchantée Mademoiselle Razelle.
- appelez-moi Finn.
- bien Finn, je me nomme quant à moi, Lady Sparrow et je parcours les terres libertiennes afin d’en percer tous ses secrets. Aujourd’hui mes pas m’ont guidé jusqu’à Arcadia et j’aimerai effectivement trouver une personne qui sache me parler de toutes les légendes de ce pays, les coutumes des habitants, ses us, etc..
- Dans ce cas vous avez pris la bonne direction.
- la bonne direction ?
- oui, car c’est par là-bas que j’habite et j’y rentrais justement quand mon chemin a croisé le votre.
- euh..

Jesse ne comprenait pas où cette bonne femme voulait en venir et Finn sourit en le devinant.

- Je crois que je pourrai répondre à la plupart des questions que vous vous posez sur Arcadia. Ca fait très longtemps que je vis ici et ce pays n’a plus beaucoup de secret pour moi. Je me ferai un plaisir de vous conter tout cela, si vous voulez bien me raccompagner chez moi. Avec votre charriot, nous devrions y être avant ce soir, et puis….. ensuite, si vous acceptez mon invitation, je vous recevrai volontiers dans ma modeste demeure. Nous aurons tout le loisir de parler des légendes de ce pays qui semblent tant vous intriguer Lady Sparrow.

La pirate hésita, sceptique. L’aubaine lui paraissait trop belle. Elle se tourna vers Griffon et lui demanda :
- Qu’en penses-tu ? ça te dit d’aller rendre une petite visite chez cette dame ?

- Qu’en penses-tu ? ça te dit d’aller rendre une petite visite chez cette dame ?
Chez cette sorcière? Bizarrement elle ne lui flanquait pas la frousse, mais ça ne prouvait rien, enfin si, cela prouvait que son instinct était en vrac, c'est tout ce que ça prouvait.
Il hésita, mais comme il n'aurait pas pu expliquer la raison d'un refus, il ne lui restait plus qu'à accepter
- Moui.
Il jeta à cette nouvelle venue un regard à la dérobée et la trouva en train de le fixer d'un air étrange qui lui sembla mauvais signe. Bouh il allait jamais dormir s'ils devaient passer la nuit chez elle!

Il remonta donc dans le charriot, allant se tapir à l'arrière d'où il pouvait surveiller cette étrangère qui se retournait souvent pour soutenir son regard tout en devisant avec la pirate.

Ils arrivèrent en quelques heures au village et la femme les conduisit à sa maison, une maison blanche sans prétentions, meublée de manière spartiate mais propre.
Après un repas simple mais copieux et un impressionnant morceau de viande que Griffon avait longuement observé avant de l'engloutir (advienne que pourra!), elle les avait priés de s'assoir près du feu et avait commencé à raconter les légendes d'Arcadia, celles des anciens dieux.
Griffon connaissait bien ces légendes et ayant un important processus digestif à mettre en œuvre, il avait appuyé sa tête sur les genoux de la pirate et avait fini par s'endormir là, bercé par la voix de la sorcière qui, il pensait, ne pouvait pas être si méchante vu le diner royal qu'elle lui avait fourni.

La femme avait continué alors à conter des histoires plus récentes, celle de l'aube des Hommes, celle qui avait vu la chute des dieux et l'avènement des chimères.
Elle avait longuement regardé le griffon endormi en parlant de ces animaux fantastiques dont on ignorait la provenance.
- Une vieille légende dit que les chimères sont les clefs de l'avènement d'une toute nouvelle ère, qu'ils sont les futurs maitres d'Arcadia. Peut-être qu'être aimée de l'une de ces créatures vous vaudra une place privilégiée quand débutera leur règne.
Puis plus bas, dans un murmure, elle ajouta
- Tout de même, je suis étonnée qu'il parle autant, et si bien... A croire...
Elle n'acheva pas et quand elle releva les yeux sur la pirate, elle avait de toute évidence décidé de changer de sujet
- Autre chose?

27.

Jesse installée dans le fauteuil autour de la table basse, caressant distraitement la tête de Griffon, écoutait le récit passionnant de Finn. Il y en avait des légendes à Arcadia, mais les plus étonnantes concernaient sans doute ces fameuses chimères et autant Jesse était fascinée par le Griffon, autant elle porta le plus grand intérêt aux fables qui parlaient de chimère. Toutefois les dernières paroles de la sorcière, enfin si elle en était une, laissèrent la pirate perplexe. Elle baissa les yeux sur le Griffon. Elle concevait tout à fait qu’il se soit attaché à elle…. Tout comme elle-même savait qu’elle s’y était déjà énormément attachée, mais Finn avait eu une étrange façon d’en parler.

- Ça pour parler, depuis que j’ai découvert qu’il savait parler, il ne cesse de me surprendre.

La pirate sourit au Griffon, et se tourna vers Finn :

- Quant à être …. aimée de Griffon, je ne convoite pas de place privilégiée ici ou ailleurs. Voyager et découvrir le monde me suffit amplement. Toutefois, je suis d’accord pour dire qu’être son amie, est pour moi un immense privilège et me comble d’honneur. Mais cela ne fera aucune différence, le jour où …comme vous dites les chimères règneront sur Arcadia.

Elle sourit en essayant d’imaginer ce que ça pourrait donner.

- En tout cas, ça me plairait bien de voir ça, et ça fera les pieds à ces vils chasseurs de chimères. Griffon y a échappé de justesse au port d’Arcadia. Mais je n’arrive pas à concevoir qu’on veuille les chasser, comme… comme du vulgaire gibier. Votre peuple n’a pas l’air de mesurer la chance qu’ils ont de pouvoir les côtoyer. Au lieu de quoi, ils les traitent en ennemi ou en moins que rien. C’est navrant.

Finn sourit.

- Tout à fait d’accord, mais cela ne durera pas, et tous ne sont pas contre la présence des chimères. Regardez vous par exemple
- Euh oui… contente de l’apprendre. De toute façon à quoi bon les capturer tous ? Les chasser ? Je n’en comprends franchement pas l’intérêt. Ce n’est pas comme si…euh… les hommes manquaient de …enfin..

Jesse s’empêtrait dans des gestes et des mots qui refusaient de sortir. Elle n’arrivait même pas à imaginer qu’on puisse manger la chair de … L’idée la révulsait. Et Finn rit quand elle comprit où la pirate voulait en venir.

- Détrompez-vous, pour certains, les chimères représentent un sérieux intérêt, ne serait-ce que pour leurs capacités particulières, ou pour leur beauté. J’ai déjà entendu dire d’arcadiens qu’ils aimeraient bien installer une sirène dans le bassin de leur maison. Si vous me permettez, c’est un peu comme vous..
- Moi ?
- Vous aimez les belles choses..
- Euh oui mais comm..
- Je vois les bijoux que vous portez, et je sais ce qui plait aux pirates. Ils rêvent tous de trouver de merveilleux trésors.

Jesse se sentit soudain comme prise la main dans le sac. La sorcière était drôlement perspicace, enfin normal on dira pour une sorcière. Là elle dut reconnaître que ça lui faisait plaisir de voyager en compagnie d’une si belle chimère comme le Griffon. Sauf qu’en aucun cas, elle ne l’aurait forcé à rester s’il ne l’avait pas voulu. Mais elle savait aussi que peu de personnes pensaient ainsi.
Et puis une sirène dans un bassin, c’te blague.

- Oui c’est vrai que…on peut voir la chose ainsi. Mais personnellement jamais je ne .

Finn se pencha pour poser sa main sur celle de la pirate.

- Je sais, et Griffon sait aussi n’est-ce pas ? Et je me dis qu’on ne peut tous les blâmer de vouloir posséder ces merveilles. Regardez Pégase, ils sont des dizaines chaque jour à tenter de l’attraper. Les imbéciles. Ils n’ont pas compris qu’il était le cœur le plus libre et le plus sauvage qui soit sur Liberty et qu’il n’appartient qu’à lui-même.

Le regard de Jesse s’éclaira d’une nette lueur d’intérêt.

- Pégase… vous voulez dire LE Pégase ?

Finn hocha lentement la tête.

- Oui, on peut l’apercevoir parfois du côté du mont Olympe, là où résident les dieux d’Arcadia.

La sorcière la fixa avec une étrange expression, mais Jesse n’y prêta pas garde, toute accaparée par l’image que lui évoquait la légende de Pégase. Le fabuleux Pégase, le cheval ailé, incomparable destrier. Une légende qui faisait rêver.

- Bien je crois que nous ferions bien d’aller nous coucher… Ce voyage m’a épuisée.

Jesse sortit de sa rêverie pour se concentrer sur ce que lui disait Finn. Dormir, oui bien sûr… elle allait essayer du moins. La sorcière les guida jusqu’à une chambre et prit congé pour la nuit. Jesse se déshabilla, l’air absent…

Il s'était réveillé en sursaut comme elle se levait, une drôle d'expression sur le visage. Est-ce que Finn avait été désagréable avec elle?
Il la suivit sans rien dire et profita qu'elle semblait à côté de la plaque pour se glisser sous les draps: l'autre nuit, il avait eu froid, cette région un peu plus éloignée de la mer était sans doute plus fraiche que la côte et son pelage semblait ne pas suffire.
Inquiet par le comportement étrange de la pirate, il avait mis un moment à se rendormir, s'accusant d'abord d'imprudence d'avoir pensé à dormir au lieu de surveiller la sorcière, et en venant finalement à penser qu'elle l'avait fait exprès!Oui, elle lui avait filé autant à manger exprès, pour que la digestion le fasse s'assoupir. Ou peut-être même avait-elle truffé le bœuf de somnifères!
La traitresse!
Malgré ses projets de vengeance, il avait finit par s'endormir tout de même, blotti jusqu'au bec sous les couvertures.
Le bruit d'une porte l'avait tiré de son sommeil, il faisait sombre, c'était sans doute toujours la nuit, et la sorcière, cette fois il était persuadé qu'elle en était une, l'observait par l'entrebâillement de la porte.
Le temps qu'il cligne des yeux pour confirmer cette vision, la porte était close, et la sorcière, disparue.
Avait-il rêvé?
Trop fatigué pour pousser ses réflexions plus loin, il se retourna et réajusta d'une main son oreiller pour poser sa tête plus confortablement, puis ferma les yeux pour replonger dans le sommeil.
Une fois que, lentement, l'information saisie par ses yeux finit par arriver à son cerveau, il sursauta et rouvrit les yeux pour regarder... ses mains... Ses mains d'"avant"...
Fébrilement, il tâta son visage, exempt de toute trace de plumes ou de bec. Il put également constater qu'il n'avait plus rien d'un griffon, et accessoirement, qu'il était à pwaaaal.
Prenant une profonde inspiration pour calmer la joie incommensurable qui s'imposait à lui, il eut grand peine à se raisonner: tout ceci était un rêve, un simple rêve, parce que la malédiction de Circé ne disparaitrait pas comme ça.
Un simple rêve, rien de plus.

Mais puisque tel était le cas, autant en profiter...
Lentement, craignant d'être maladroit même en rêve, il se rapprocha de la pirate endormie et la prit dans ses bras, caressant du bout des doigts l'épaule dénudée que le drap ne recouvrait plus, avant d'effleurer sa joue de ses lèvres .
Ce rêve, ce n'était vraiment pas de la camelote de rêve, un rêve de sacré bonne qualité, foi de griffon, les sensations qu'il croyait ressentir très proches de la réalité... Dans les... moindres détails...

28.

Elle avait mis du temps à s’endormir, obnubilée par cette légende de Pégase. Elle aurait voulu en parler avec Griffon, avoir son avis, mais aussitôt s’était-il glissé dans le lit qu’il s’était endormi. Elle avait sourit et l’avait rejoint, laissant cette fois, sa main reposer sur le doux pelage de la créature.

Perdue dans le monde des songes dont au réveil, elle n’en aurait plus aucun souvenir, l’un d’eux pourtant s’incrusta avec force dans son esprit, effaçant peu à peu un décor trop flou, des images imbriquées des plus étranges. Là c’était différent, agréable… Une silhouette d’homme se dessina dans son esprit, il s’était approché, il lui souriait. Elle ne voyait pas son visage et pourtant il lui plaisait. Elle ne l’avait jamais vu, pourtant elle se sentit attirée. Elle ne comprenait pas pourquoi elle ne voyait pas son visage, pourtant elle ne résista pas quand il lui caressa l’épaule, soudain si proche.

Elle se troubla, un trouble délicieux tandis qu’il poursuivait ses caresses et cherchait sa bouche pour un baiser qu’elle chercha à son tour, ayant envie de sentir ses lèvres sur les siennes. Et c’est là que tout bascula. Le baiser sensuel se fit soudain avide, brûlant, ses mains glissaient sur son corps et elle répondit avec une passion qui la surprit, tout comme ce qu’elle ressentait. Elle gémit sous sa bouche, sous ses caresses, cherchant à se coller contre lui, et…ouvrit les yeux, surprise d’entendre sa prorpre voix.

Le souffle court, les yeux écarquillés, elle discernait vaguement les traits d’un visage dans la pénombre de la chambre. Troublée, et désarçonnée, perdue entre le rêve et la réalité, elle ne parvenait plus à faire la part des choses. Elle avança sa main, caressa le visage et eut envie de prolonger le rêve. Elle l’embrassa encore, mais la force de ses émotions, toutes ces sensations étaient bien trop réelles, son envie de lui… pour que cela ne fut qu’un rêve.

Il lui fallait retrouver ses repères… Elle se redressa, tâtonnant sans trouver la chandelle sur la table de chevet.

- Bon sang d’bois…… par la barbe de Neptune…. Que je sois damnée si c’est juste un rêve.

Elle ne lâchait pas des yeux, l’homme à ses côtés, craignant que si elle se détournait, il ne se volatilisât brusquement.

- Je rêve, ça ne peut être qu’un rêve…

La situation lui avait rapidement échappé, la réponse aussi brûlante qu'inattendue lui ayant un peu fait perdre le contrôle.
Quelque chose lui laissait à penser qu'il n'aurait jamais osé en imaginer tant, qu'il n'aurait jamais laissé vagabonder son rêve jusqu'à sentir aussi distinctement le corps de la pirate collé contre le sien à travers le drap.
Il repoussa cette idée: il ne savait pas pourquoi ce rêve était aussi précis, ni comment cela pouvait être, mais puisqu'il n'était plus Griffon, c'est qu'il rêvait, délirait ou fantasmait.
Ha oui ça devait être ça, ces rêves inavoués dont parlaient les docteurs, où on se permettait d'imaginer tout et n'importe quoi!
Elle lui donna un autre baiser, faisant rugir le sang dans ses veines et il glissa ses mains sous les draps pour vivre cette invention de son esprit (sûrement malade!) jusqu'au bout, quand elle le repoussa brusquement
De ce fait, lui aussi fut totalement réveillé: il ne pouvait pas rêver qu'elle disait qu'elle croyait à un rêve!
Alors... C'était vrai?
Ca éclairait la situation sous un jour nouveau: d'abord, elle ne croirait jamais à son histoire, et ensuite, elle allait lui fracasser la tête pour s'être comporté de cette façon.
Il l'entendit chercher quelque chose et comprit brutalement qu'elle cherchait de l'éclairage, ce qui, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas, lui fit très peur, et il saisit vivement la main de la pirate.

- Attends!
Arcadia est un monde où tout est possible... Est-ce que tu veux vraiment la vérité, quelle qu'elle soit?

Son regard se fit suppliant dans la pénombre et il posa sa main libre sur la poitrine de la pirate, sentant son cœur qui battait à tout rompre, comme le sien probablement.
Il avait le sentiment qu'il avait peu de temps, qu'il devait absolument la convaincre de ne pas chercher à en savoir davantage.
Ne sachant plus quoi faire, il l'attira tout contre lui et murmura

- Ne cherche pas... Tu gâcherais tout...

Et il l'embrassa à nouveau, rallumant instantanément le désir que la peur avait refroidi quelques instants

29. "The Kill"

Elle n’eut pas l’occasion d’allumer la chandelle. Il lui avait pris les mains et il lui parla. Cette voix, c’était celle du Griffon. Jesse était confondue, ce n’était pas possible. Et c’est pourtant tout le contraire qu’il lui dit alors…
Il lui fallait choisir…. L’impossible ou la vérité, voir de ses yeux, voir ce visage, ou alors juste écouter son cœur, son corps. Elle sentait encore ses mains sur lui, ses baisers, elle n’avait donc pas rêvé. Elle ne savait que dire que faire.
…Envie de fuir, ou envie de virer tous ses aprioris… Ne pas réfléchir, ne pas essayer de comprendre… ne pas tout gâcher, ne pas s’écouter raisonner, c’est un griffon, c’est une chimère.

Pourtant la bouche qui lui vola un baiser des plus ardents, n’avait plus rien à voir avec le griffon. C’était bien un homme qui se coulait sur elle, c’était bien un torse masculin qu’elle caressait, des épaules terriblement bien dessinées, le creux des reins et ses mains qui exploraient ce corps sans retenue. Elle sentit qu’elle bascula, perdant la raison.

Elle sut que même si elle l’avait voulu, elle n’aurait pu lui dire non. Tout son corps appelait le sien, le moindre contact, le moindre attouchement, un baiser, encore…. Une faim insatiable s’empara de Jesse qui lui rendit son baiser avec une fougue sans pareille. Elle oublia, oui elle oublia tout ce qu’elle savait pour s’abandonner au seul instant présent, instant de pure folie. Elle s’accrocha à lui avec force, exigeant tout, ne refusant rien. Elle irait jusqu’au bout, pour assouvir son envie, communiant son plaisir avec cet homme, cet inconnu qui bientôt ne fit plus qu’un avec elle, lui arrachant une plainte rauque.

Ce fut plus fort encore que ce qu’elle aurait pu imaginer connaître, ce fut plus incroyable, plus époustouflant, incroyablement intense. Elle connut une vague de plaisir vertigineuse, se laissa porter par l’orgasme qui la laissa tremblante, vibrante, après cette danse folle. Et même les yeux fermés, elle resta imprégnée de lui, de sensations, de souvenirs qui la marquèrent inexorablement….
Allongée sur le lit, elle récupérait son souffle, yeux grands ouverts fixant sans le voir, le plafond de sa chambre. Elle entendait sa respiration saccadée, même rythme…même battement de cœur.
Et elle raisonna…

Qu’est-ce qui lui avait pris ?... Elle ne l’avait jamais vu….pourtant, cette étrange impression de le connaître… Non, elle ne savait rien de lui, il n’était pas celui qu’il disait être, il n’était pas homme mais chimère et elle avait fait l’amour avec lui……..elle en tremblait encore.

Pourquoi ne lui avait-il pas dit ? Qui était-il ? Qu’allait-elle faire à présent ? Saurait-elle le regarder en face ? Saurait-elle regarder les autres en face. Que penseraient-ils d’elle ? Une chimère ou un homme, et elle…

Jesse eut l’horrible sentiment soudain de manquer d’air, elle déglutit péniblement et se redressa brusquement. Elle se leva, quitta le lit et saisissant sa chemise, l’enfila rapidement avant de sortir…dehors, il lui fallait respirer, réfléchir… comprendre, oui… comprendre ce qui s’était passé, sans avoir à l’affronter. Elle se souvint ce regard triste qu’il lui avait adressé… le Griffon.. pas cet homme dans son lit. Son ami, pas son amant, une chimère de plume et de poil.

Il fallait qu’elle sorte, et c’est ce qu’elle fit.. pieds nus, à peine vêtue, pour se diriger vers une terrasse à plein pied… respirer la douce brise, elle sentait encore son odeur.
Elle devenait folle…..

Tout était allé si vite... Elle avait oublié la chandelle pour venir à lui, répondant avec ardeur à ses caresses, sans jamais sembler hésiter.
Et alors que, rassasiés enfin l'un de l'autre, ils reposaient sur le lit, alors qu'il allait se blottir contre elle et essayer de lui expliquer cette histoire à dormir debout qu'il avait bien du mal à saisir lui-même, elle se leva brutalement, remit sa chemise et sortit.
Il n'avait pas eu le temps de faire un geste pour la retenir et son départ le laissa désemparé: elle semblait fâchée, et pourtant, il ne l'avait pas forcée... N'est-ce pas?
Il n'avait pas d'abord pensé que les choses finiraient ainsi... Oh bien sûr qu'il savait que même dans son corps de Griffon, il l'avait trouvée belle, mais avant, ce sentiment n'était qu'un vestige de son ancienne vie, elle était ce qu'il n'aurait jamais plus, un rêve tout juste bon à lui donner des regrets.
Et ce soir, oui il avait un peu perdu la tête et s'était laissé emporter par le désir qu'elle lui inspirait, mais il n'aurait jamais osé... si elle n'avait pas répondu à chacun de ses baisers, à chacune de ses caresses...

Il hésita à se lever, à aller lui parler mais... à quoi bon? Si elle était sortie, c'était sans doute pour ne plus le voir...
Finalement, il prit l'une des couvertures pour se couvrir et alla à la fenêtre pour regarder dehors le brillant croissant de lune qui baignait le paysage de sa lueur argentée.
Peut-être qu'elle ne voudrait plus le voir du tout, peut-être qu'elle allait le laisser là et partir sans lui...
Il resta un long moment, les yeux perdus dans le vague, et comme le jour commençait à poindre, il se retrouva soudain Griffon sans savoir comment, les griffes empêtrées dans la couverture.
Voilà, il avait pu quelques heures reprendre sa véritable apparence, et il avait tout gâché...
Sans compter qu'il avait perdu par la même occasion la seule personne auprès de laquelle il s'était senti bien...
Soudain s'en fut trop, il sut qu'il ne supporterait pas qu'elle l'ignore ou pire encore, qu'elle lui demande de partir, et laissant choir la couverture inutile, il s'élança à travers la fenêtre, abandonnant quelques poils et quelques plumes en la traversant pour s'enfuir loin de cet endroit maudit.
Il n'avait nulle part ou aller, personne qui l'attendait, rien à espérer, comme un retour au point de départ, juste avant qu'il ne rencontre la pirate.
Sauf que cette fois-ci, il savait exactement ce qu'il avait perdu...

30. "Beyond the invisible"

Jesse leva les yeux vers les étoiles si brillantes au firmament, espérant peut-être y lire la trace d’une réponse à ses questions qui tourbillonnaient dans sa tête. Espérant chasser ce malaise, essayant de comprendre ce qu’elle ressentait, troublée, non bouleversée par ce qui s’était passé et qu’elle avait accepté, voir demandé. Les dieux lui avaient déjà fait maintes farces, mais celle-là était sans doute la plus cruelle, donner au griffon l’apparence humaine pourquoi ? Elle ne comprenait pas.
Peut-être était-ce pour lui faire payer ses mœurs légères. Et elle n’avait pas résisté. Elle n’avait même pas essayé, elle avait souhaité ce qui était arrivé.

Elle avait échangé sans même réfléchir, un ami contre un amant, sans même connaître l’homme, sans même se poser de questions, elle avait fait fi de tout ça pour s’abandonner à son plaisir. Elle aurait du …quoi ? Ne pas franchir le pas entre le rêve et la réalité ? Elle ne pouvait deviner, non, jamais elle n’aurait pu deviner cette transformation.

Le vent chassa quelques mèches rebelles de son visage et Jesse inspira profondément. Elle avait l’impression d’être victime d’une méchante farce…. Non pas une farce, peut-être un cadeau ? Mais qui était Griffon ? Est-ce que les dieux le lui avaient-ils envoyé comme une épreuve à passer ? Alors elle se dit qu’elle avait lamentablement échoué. Jamais elle n’aurait du en espérer plus de la chimère que l’amitié qu’elle avait à lui donner. Elle aurait du chasser cet homme, cet inconnu qu’on avait mis dans son lit.

Qu’allait-il penser d’elle à présent ? Elle qui lui avait dit tant l’admirer. Elle l’avait vu comme un ami et puis là tout avait basculé. Elle avait l’impression d’avoir tout gâché. Une histoire précieuse qui était devenue une histoire de sexe. Qu’avait-elle fait ? Elle aurait pu profiter de n’importe quel homme, pas pas… pas la chimère, pas cette créature innocente et sensible…
Mais était-ce vraiment le Griffon qu’elle connaissait ? Et si un sorcier lui avait jeté un sort ?
Une fois encore, elle se demanda pourquoi…. Pourquoi le griffon était devenu un homme, se remettant en question, elle et ses choix toujours les plus faciles, toujours ceux qui lui paraissaient le plus intéressant, sans tenir compte des autres.

Elle baissa les yeux, attendant que le vent effaçât les traces de ses caresses. Mais c’était inutile, elle le savait, jamais elle n’oublierait ces instants. Elle frissonna dans l’air frais de la nuit, serra ses bras autour d’elle et sans savoir ce qu’elle allait bien pouvoir lui dire, sans même savoir s’il était encore homme ou griffon, elle abandonna la terrasse sous le clair de lune, pour revenir à la chambre, sans oser se l’avouer qu’elle espérait voir au moins son visage.
Et peut-être… non… elle ne devait plus rien espérer si ce n’était conserver son amitié.

Mais quand elle poussa la porte de la chambre, elle n’eut pas besoin d’allumer la chandelle dans sa coupe qu’elle comprit, voyant la fenêtre grande ouverte et le rideau battant au vent. Il avait disparu.
Il était parti…..
Jesse se laissa glisser au sol, le dos contre le mur, ayant l’impression, cette nuit d’avoir perdu quelque chose de très précieux….
Elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle….
Une leçon cruelle qu’elle n’oublierait pas de sitôt.

Griffon avait volé un moment sans but, sans même regarder où il allait, quelle importance?
Il était redevenu seul au monde, un indésirable que plus personne ne souhaitait voir.
Il n'avait pas le courage de ce quotidien lamentable, se battre pour manger, se battre pour survivre, à quoi bon?
Pour, une seconde fois, oublier, et se comporter à nouveau comme un animal sauvage?
Rien de ce qu'il avait vécu en tant que Griffon ne valait ce qu'il avait souffert, rien sauf cette femme à qui il n'avait pas pu dire la vérité.
Est-ce que de ce fait, il n'avait pas indirectement menti?
Il avait profité de son affection, de sa gentillesse, et ce soir, de son sommeil, pour se sentir plus humain, sans se demander vraiment si c'était ce qu'elle voulait, sans s'occuper de savoir si l'échange était équitable...
En fait, il s'était comporté depuis le début comme un sale égoïste, prenant ce qu'elle offrait sans jamais se demander s'il lui donnait la moindre chose en retour.
Il eut honte, honte d'avoir conservé son secret, la laissant dans l'ignorance pour se préserver.
Bien sûr, il ne pouvait pas imaginer retrouver son apparence, surtout après les énigmes de l'oracle qui s'était clairement moquée de lui, il s'était cru condamné à mourir Griffon...

Il aurait voulu retourner chez la sorcière, revenir près d'elle, s'expliquer et lui demander pardon...
Il n'osait pas, craignant qu'elle ne le chasse, puis comprit qu'il ne pourrait aller nulle part ailleurs.
Est-ce que s'excuser n'était pas le moins qu'il pouvait faire? Même si elle le jetait dehors, il lui devait au moins ça.
Se décidant enfin à revenir, il découvrit alors qu'il avait tourné en rond sans jamais vraiment s'éloigner, contrairement à son intention première. N'était-ce pas un signe?
Il repassa la fenêtre dans l'autre sens, s'égratignant une seconde fois et n'en tenant pas davantage compte pour atterrir au milieu de la pièce, à quelques pas de la pirate.
Ainsi elle était revenue, finalement, avait-elle entendu qu'il était parti, était-elle revenue parce qu'elle se croyait délivrée de sa présence?
Cette idée le laissa figé sur place, n'osant plus faire un pas.
Pourtant, il n'était pas revenu là pour se faire jeter dehors sans avoir pu lui parler, et il fallait qu'il se dépêche

- Je n'aurais jamais dû... te toucher...
Profiter de son sommeil... Ecouter mon envie...
Je croyais rêver, moi aussi, je n'ai compris que lorsque tu t'es réveillée.
Mais tu étais si...
Il baissa les yeux sur le sol, rougissant sous ses plumes
... si désirable... Je n'ai pas su m'arrêter...

Il s'approcha lentement et conclut, relevant enfin les yeux pour affronter ceux de la pirate
Je voulais te demander pardon... d'avoir agi sans réfléchir, égoïstement.
Est-ce que... tu crois que tu pourras me pardonner?

31. "Comptine d'un autre été"

Jesse leva la tête hors de ses bras où elle avait plongé son visage, genoux tirés contre sa poitrine. Le bruit d’éclat avait attiré son attention, et elle vit soudain le Griffon apparaître et se poser devant elle, le Griffon qui sous l’éclairage argenté de la lune, lui parut encore plus irréel que la première fois qu’elle l’avait vu.

Et comme la première fois, elle fut émerveillée, et si heureuse de le revoir qu’elle en eut instantanément les larmes aux yeux. Il était revenu, alors qu’elle croyait qu’elle ne le reverrait plus jamais. Elle s’y était déjà résignée, acceptant sa condamnation sans même tenter de se justifier. Et là… il lui parlait…. Il lui demandait pardon ? Elle cligna des yeux, battement de cœur tandis qu’il lui expliquait, la raison… Qu’elle ne put comprendre, tant elle s’était trompée à son sujet.

Elle relâcha ses genoux, et tendit sa main comme pour s’assurer qu’elle ne rêvait pas. Il était bien là, lui le Griffon qui lui parlait de ses désirs d’homme. La caresse fut légère, un effleurement des plumes de son aile. Une image s’imisça soudain dans son esprit, impertinente et troublante, celle de cette épaule qu’elle avait caressée… Elle la chassa, pour tâcher de répondre d’une voix mal assurée, un murmure à peine.

- Me demander pardon à moi ? Pourquoi? C’est moi qui te demande pardon…. Comme j’ai demandé pardon aux dieux qui t’ont envoyé à moi. J’ai cru qu’ils avaient cherché à m’éprouver…. J’ai cru que j’avais échoué. Car moi non plus je n’ai pas su… je n’ai pas su m’empêcher de vouloir ce qui s’est passé. J’ai fuis, parce que j’avais honte d’avoir cédé aussi facilement… tu es un Griffon…. Je ne comprends pas pourquoi soudain, j’ai trouvé un homme dans mon lit, un homme qui… que j’ai désiré si intensément… Je n’avais pas le droit, tu comprends ?

Les larmes roulaient à présent sur ses joues, elle le regardait, et les mots s’emballaient, se déversaient sans plus pouvoir se tarir..

- On m’a offert de rencontrer une créature extraordinaire, j’ai eu la chance de devenir son amie, et là….je n’ai pas cherché plus loin que faire ce dont j’avais tellement envie moi-aussi. Moi aussi je n'ai pas su m'arrêter. J’ai pris le risque de perdre un ami, j’ai cru que je t’avais perdu, Griffon… Qu’on me punissait… pour avoir aimé un homme qui m’est totalement inconnu.

Elle essuya d’un revers de main, ses joues..renifla, puis ajouta :

- Et là.. j’avoue que je ne suis pas sûre de comprendre leur message. Je suis si contente que tu sois revenu. Mais… j’aimerai comprendre pourquoi… pourquoi cette nuit tu n’étais plus Griffon. Pourquoi m’avoir tentée ainsi ? Était-ce un test ?

Il frissonna quand les doigts de la pirate glissèrent sur ses plumes, ayant envie de se blottir dans ses bras, mais n'osant pas.
Le discours qu'elle lui tint ensuite eut beaucoup de mal à trouver un écho dans son esprit à lui, jusqu'à ce qu'il comprenne enfin qu'elle croyait qu'il était Griffon, qu'il l'avait toujours été. Alors l'épreuve prit un sens pour lui, et la punition aussi. Quoi que d'après ses souvenirs, Zeus aurait été mal placé pour lui jeter la pierre parce qu'il s'était rarement gêné, mais bon enfin bref, ce n'était pas le sujet. Il s'approcha encore un peu, frottant sa tête sur les joues de la pirate pour éponger dans ses plumes les dernières larmes qu'elle n'avait pas chassées en s'essuyant les yeux et il rassembla ses pensées pour répondre, tâchant d'être compréhensible

- Je ne sais pas, pourquoi cette nuit je n'étais plus Griffon. A part si notre hôtesse qui sait trop de choses pour ne pas être, à mon avis, un peu sorcière, a jeté un sort sur mon quartier de viande.
Mais au fond, peu importe, il faut que tu saches que je ne suis pas devenu un homme pour la première fois... Je veux dire qu'avant, j'étais un être humain, avant d'être, comment dire, maudit, et transformé en Griffon.
Voilà quel était mon secret.
Alors cette nuit, en me réveillant et en me voyant à nouveau moi-même, j'ai cru que je rêvais, et je me suis permis ce que je pensais ne jamais avoir l'occasion de faire... C'était un rêve, je pouvais tout oser... Et quand j'ai compris que c'était réel, j'ai senti avec certitude que j'avais peu de temps et je n'ai pas su renoncer... J'avais besoin d'être à tes yeux autre chose qu'un animal... Au moins cette fois-ci... J'ai été égoïste, je n'ai pas pensé aux conséquences, j'ai oublié que tu ne pourrais pas comprendre... Que tu t'imaginerais...

Il n'acheva pas, n'osant mettre des mots sur le problème qu'elle avait soulevé.

- Evidemment, maintenant, je dois te faire beaucoup moins rêver: je n'ai rien de fantastique, je suis un homme comme les autres, avec une apparence de Griffon... Et je ne sais même pas me tenir correctement en ta présence...
Tu dois être... déçue... terriblement déçue... sur un tas de points...

Il se serra un peu plus contre elle, appréhendant la réaction de cette femme à qui il avait caché tant de choses.
Pourtant, il trouverait toujours une consolation dans le fait qu'elle affirmait avoir désiré la même chose que lui...
Le désirait-elle encore, alors que lui ne songeait qu'à espérer que le miracle se reproduise?

32.

Transformé ? Il avait été transformé en Griffon ??
La vérité qu’enfin elle apprenait, était tant à l’opposé de ce qu’elle s’était imaginé, était tellement inattendue, qu’elle retomba en arrière, assise à même le sol, complètement abasourdie.
Il était donc tout ce qu’il y avait de plus humain….un humain transformé en Griffon.

En écoutant la suite, elle réalisa ce qu’il avait du endurer, prisonnier d’un corps de chimère, privé de sa véritable apparence. Elle réalisa que ce qu’elle avait tant admiré chez lui, n’était qu’apparence, résultat d’un étrange sortilège, cruelle punition pour un homme qui avait commis lui seul savait quel crime.

- Evidemment, maintenant, je dois te faire beaucoup moins rêver: je n'ai rien de fantastique, je suis un homme comme les autres, avec une apparence de Griffon... Et je ne sais même pas me tenir correctement en ta présence...
Tu dois être... déçue... terriblement déçue... sur un tas de points...

Forcément, il ne pouvait penser autrement après tout ce qu’elle avait dit au sujet du Griffon. Elle se sentait bien stupide soudain. Mais en tout cas pas déçue, ça non. Elle s’empressa donc de le rassurer.

- Non, je ne suis pas déçue, c’est juste que…je me sens un peu ridicule. Je ne pouvais pas imaginer que tu étais … un homme avant d’être un Griffon. Tu as du me trouver bien bête de tant vanter la beauté de ce qui n’est finalement qu’une apparence. Pourtant c’est vrai… je ne peux nier que je trouve les chimères admirables et je leur voue un profond respect. Mais de là à dire que je suis déçue non….

Elle repensa à ce qui s’était passé dans cette chambre un peu plus tôt, et son cœur s’emballa.

- Voilà qui m’ôte au moins ce sentiment de culpabilité.

Et qui résolvait l’énigme de cette puissante attirance qu’elle avait ressentie. Mais alors que sa culpabilité s’envolait et lui laissait le cœur léger, d’autres questions s’imposèrent, et l’envie de connaître son véritable visage revint plus insistante. L’envie de le connaître mieux….
L’envie de…. Elle inspira profondément et coupa sa respiration, avant de la relâcher brusquement.

- Je crois que nous allons devoir tout recommencer depuis le début. Je pensais connaître le Griffon, mais je réalise que je ne sais strictement rien de toi, sauf ….

Elle inclina la tête avec un léger sourire, puis se reprit immédiatement. Le Griffon s’était montré avide d’attentions mais c’était l’œuvre d’un Griffon n’est-ce pas ? Elle se souvint de cet éclat dans son regard, un éclat si humain. A présent elle comprenait.

- Sauf que tu as bel appétit… oui je sais, ce n’est pas grand-chose.

Elle se redressa sur ses genoux, oubliant qu’elle était toujours seulement vêtue de sa chemise ample, s’assit sur ses mollets, et posa ses mains à plat sur ses cuisses toujours aussi nues.

- Est-ce que tu veux bien m’offrir une seconde chance ? J’aimerai apprendre à mieux te connaître, qui que tu sois. Et moi aussi je tâcherai de …..euh mieux me comporter avec toi, et arrêter de te traiter comme….. comme une chimère ? Puisque ce n’est pas ton vrai visage. Je vais essayer d’apprendre à faire fi des apparences, car ça doit déjà être assez lourd à porter pour toi. Je ne te promets pas des miracles, je te promets juste d’essayer de faire au mieux.

Elle se tut, attendant sa réponse et puis brusquement ajouta encore.
- Et toi….. j’aimerai que tu n’aies plus envie d’avoir de secret pour moi. Quoique tu me dises, ça restera entre nous.