Aux alentours de la ville

35. ( Avant au palais)



S’il y avait une chose que Kalisha avait appris avec le temps, c’était que les animaux n’étaient pas aussi dupes que les humains quand à sa nature. Ils sentaient peut-être cette énergie magique qu’elle dégageait ou alors simplement devinaient qu’il était inutile de tenter quelque chose contre elle au risque de se prendre un vilain coup sur le museau. Et leur flair ne les trompait jamais, ainsi même si l’agitation de cette meute de husky surprit un peu Kalisha, peu habituée à en voir autant à la fois, ils n’eurent pour elle que marques d’affection et couinement soumis.

Le génie grimpa donc sur le traîneau, impatient de découvrir ce nouveau monde de neiges immaculées et de glaces étincelantes. Et tandis qu’installée à l’avant du traîneau, elle admirait un fabuleux paysage qui se dévoilait peu à peu sous ses yeux, une vague de nostalgie emplit son cœur. Car si le vent soufflait dans ses cheveux et rougissait les joues de son cher roi, Kalisha elle, ne ressentait rien de cette fraîcheur qui aurait revigoré n’importe quel être humain. Et c’est dans le désir de se sentir un peu plus vivante qu’elle s’affubla soudain d’un énorme mais magnifique manteau de fourrure blanche qui vint lui chatouiller jusque sous le nez.

Ragnar ne pouvait avoir manqué le geste, même tout occupé qu’il était à tenir les chiens et s’inquiéta. Sa voix s’éleva au dessus du bruit du galop des chiens et de leur souffle rapide.

- tu as froid ?
- non non .. je.. je voulais simplement moins dépareiller dans ce magnifique décor. Et si jamais nous devions croiser quelqu’un.

Seul un rire répondit à cette dernière remarque. Le roi n’avait pas deviné le malaise de la jeune femme, mais cependant il la rassura sur le fait de rencontrer d’autres vikings dans cette région. Car Asgard était si vaste que l’on pouvait bien parcourir de nombreux kilomètres dans ces impressionnantes étendues enneigées sans rencontrer âme qui vive. Voilà pourquoi il s’était recommandé auprès de Lady Sparrow de ne pas s’éloigner du village, car le prochain hameau ne se trouvait pas vraiment proche de chez lui.

Chez lui, l’expression somme toute très anodine, rappela encore une fois à Kalisha qu’elle n’aurait jamais de chez elle. Certes, elle avait grâce à Ragnar le rêve de briser une fois pour toute cette malédiction et l’espoir fou de pouvoir rester auprès de lui, mais le passé lui avait appris que rien ne se passait jamais comme on l’espérait.

Kalisha laissa le silence s’installer tandis que son regard s’embuait de larmes. Et quand soudain le traîneau ralentit, Ragnar surpris le regard de la jeune femme.

- tout va bien ?
- oui, c’est le froid…Oh Ragnar ton royaume est vraiment magnifique !
- et encore, viens… je vais te montrer quelque chose.

Surprise, Kalisha fut soulevée par la taille et Ragnar l’entraîna à sa suite, laissant le traîneau et l’attelage des chiens derrière eux. Grimper une colline couverte d’un bon mètre de belle neige poudreuse ne fut pas aisé, même pour un berserk, mais l’exercice était agréable et faisait battre le sang dans les veines. Quand à Kalisha, cela ne lui posa aucun problème d’essoufflement, si légère qu’elle ne laissait presque pas d’empreinte dans la neige et semblait glisser à sa surface. Entre deux souffles, le roi finit par protester en riant :

- tu devras me donner le truc un jour pour marcher sur la neige sans s’y enfoncer.
- facile, il suffit de devenir un génie, mais je ne te le souhaite pas…

Kalisha lui adressa un étrange sourire, mais comme ils arrivaient là ou Ragnar avait voulu l’emmener, ils oublièrent tous deux cette phrase pour se plonger dans la contemplation de la vue qu’ils avaient de ce promontoire où ils se trouvaient. Ainsi c’était ça la surprise de Ragnar et il le lui dit :

- d’ici, on a une vue imprenable sur une bonne partie d’Asgard..

Et le roi lui énuméra, les différents comtés en pointant chaque fois une direction différente. Sous ce soleil éclatant, cette neige éblouissante et ces décors enchanteurs, Kalisha était émue par tant de beauté, émue de voir la fierté de son roi, et plus que jamais amoureuse de cet homme qui était devenu son maître.

- Cela te plaît-il comme ballade ? Kalisha ?

A nouveau l’émotion fit briller le regard de la jeune femme qui secoua la tête, navrée de ne point avoir su les lui cacher. Elle baissa les yeux.

- Allons, tu n’es pas obligée d’aimer !
- non, non ce n’est pas ça..
- alors quoi ?
- juste que.. c’est si beau..

Elle leva enfin les yeux sur lui et continua sur le même ton vibrant.

- ton royaume, toi, ta gentillesse, ta générosité. Tout ce que je vois, me plait de plus en plus, alors.. alors j’ai peur de perdre ça… de te perdre toi.

Et comme il voulait répondre, elle posa une main sur sa bouche.

- Si un jour, on me demandait ce que moi je souhaite, alors je dirai sans hésiter, je souhaite juste pouvoir vivre éternellement à tes côtés, avec toi, et pourquoi pas ici dans ce paradis blanc..

Vu de l’extérieur, le barbare impressionne.
Prenez un viking, par exemple. L’œil vif, le poil luisant, les muscles saillants, la carrure imposante, l’air conquérant, les pectoraux gonflés, le jarret souple et le biceps proéminent, il a l’air taillé dans du roc. Solide. Imperturbable. Capable d’affronter les tempêtes pour aller coller une baffe aux dieux. Une force de la nature à éviter d’énerver ou contre qui venir se reposer pour se sentir en sécurité.
Seulement, si de prime abord le Viking marque l’esprit par l’aura de puissance qui se dégage de sa présence, il faut savoir que, à l’intérieur, c’est tout tendre. Tout doux. Un cœur de midinette. Il n’a pas appris le mensonge ni la dissimulation car dans sa société les différends se règlent séance tenante, juste avant la tournée de la réconciliation. Il est toujours optimiste et confiant car, comme les enfants, il n’a pas conscience du fait qu’il peut échouer. Et comme les enfants, il se laisse facilement déborder par ses émotions. Pour lui, la parole donnée est une chose sacrée, pas un prétexte à tromperie… l’Amitié est un engagement profond, pas une simple connivence autour d’une chope… l’Amour est une force puissante, pas un sujet de roman.
Tel est le viking, dur à l’extérieur, fondant dedans, comme le chocolat du Switzerland fourré aux cerises ou le Kiss Cool double effet.

La déclaration de Kalisha alla donc droit au cœur de Ragnar et s’y ficha comme une bougie sur un gâteau d’anniversaire. Lumineuse, joyeuse, et pourtant un brin nostalgique.
Le roi barbare et baraqué plongea son regard bleu acier dans les prunelles noires de son adorable petite compagne dont le manteau de fourrure blanche mettait en valeur la jolie frimousse tout en tenant chaud à son corps souple de danseuse orientale.
Il semblait au grand berserk que le paysage autour d’eux s’était soudain estompé, le blanc du manteau de fourrure se confondant avec celui des champs de neige alentour, pour ne plus composer qu’un grand tableau blanc avec, au centre, le visage de Kalisha, et pour seule lumière, les yeux de son Amour.
Ragnar ne savait trop que dire. Il sentait bien qu’il ne saurait pas trouver les mots qu’il fallait pour répondre à la jeune femme sans paraître ridicule. Il sentait sa gorge se serrer, et une brume de larmes lui monter aux yeux. Ne pouvant exprimer par des mots le bonheur qu’il ressentait en entendant Kalisha lui déclarer ses sentiments, Ragnar attira doucement la jeune femme contre lui et l’embrassa avec tendresse… avec douceur… avec amour. Pas de luxure dans ce baiser-là, pas de passion charnelle dévorante… Mais un long baiser pour communier avec sa belle… pour partager avec elle plus que sa présence… ne faire qu’un avec elle… être unis…

Combien de temps restèrent-ils ainsi, Ragnar ne le savait pas. Il n’en avait cure, d’ailleurs. Cela n’avait aucune importance.
Du moins jusqu’à ce que son postérieur commence à geler.
C’est pas que la neige est froide, mais un pantalon de cuir, c’est tout de même pas l’idéal pour crapahuter dans la poudreuse…
Ils redescendirent donc vers le traîneau où les huskies semblaient les attendre gentiment.
Tout en redescendant, une idée traversa le cerveau du Roi, en prenant son temps (les idées ont beaucoup de mal à traverser les cerveaux des vikings, c’est comme d’essayer de nager dans de la mélasse. C’est pourquoi elles essaient d’éviter de fréquenter les cerveaux vikings autant qu’elles le peuvent, mais celle-ci s’était perdue).

Dis-moi… Quand tu parlais de vivre éternellement… Tu n’étais pas sérieuse ?
Parce qu’il n’y a rien d’éternel, tu sais… Si tu veux vraiment vivre éternellement, il vaudrait peut-être mieux que tu restes un génie ?
Moi je peux t’offrir mes bras, mon cœur, et d’autres choses aussi, mais ça ira forcément avec la vieillesse, la maladie et la mort…
Est-ce que tu veux vraiment de ça ?

36.

Après ce long baiser qu’ils venaient d’échanger, Kalisha se sentait plus sereine face à l’avenir qui l’attendait, ou peut-être était-ce du à ce paysage recouvert de neige étincelante qui avait cet effet apaisant, ou encore à la tranquillité qui régnait sur ces vastes plaines. Quand à Ragnar, il ne semblait pas convaincu par le souhait qu’elle avait formulé, c’est pourquoi elle s’arrêta alors qu’ils parvenaient presque vers l’attelage et lui sourit :

- Peu m’importe de mourir si je peux passer le restant de ma vie avec toi.. Au moins je recommencerai à vivre vraiment, je connaîtrai enfin la fraîcheur de la neige sur ma peau, je sentirai le vent dans mes cheveux, j’aurai froid et tu me réchaufferas, j’aurai faim et nous partagerons nos repas, et avec un peu de chance, je connaîtrai la vie que connait toute femme..

Kalisha s’interrompit, n’osant aller plus loin dans ses pensées. Elle regarda au loin et reprit sur un ton mélancolique.

- si je ne parviens pas à rompre le sortilège qui me retient prisonnière de cette lampe, j’aurai l’éternité devant moi oui, mais je te verrai vieillir alors que je resterai la même, et je te perdrai. Sauf si comme cela m’est souvent arrivé par le passé quelqu’un te vole la lampe et m’enlèvera à toi, et je dois dire que cette idée m’effraie plus que le reste.

Ragnar lui prit la main et sur un ton grave, la rassura.

- Ne t’inquiète pas, je veillerai sur elle, et sur toi..

Kalisha lui sourit, confiante, en espérant que la bonne volonté du roi suffirait à leur éviter d’être séparés. Et comme pour sceller cette promesse, le roi embrassa son génie, avec cette même ferveur dont avait fait preuve Kalisha en lui dévoilant ses sentiments. Le génie s’installa à nouveau dans le traineau, le roi reprit les rênes et ils retournèrent au palais de Roskildheim, heureux de ces moments qu’ils avaient partagés, et un peu plus complices encore qu’ils ne l’étaient en partant.

( Retour au palais)