Dans les rues d'Arcadie

1. musique

Le ciel était haut dans le ciel, et la plupart des habitants d’Arcadia s’étaient terrés chez eux pour piquer un petit somme, il faisait bien trop chaud pour travailler, trop chaud pour faire quoique ce soit. Sauf pour Zorah, pour elle, il n’y avait pas d’heure pour profiter des petits plaisirs de la vie. Et tandis que la ville semblait endormie, la jeune femme se promenait dans les rues, d’un pas léger. Son regard glissait de ci de là, guettant un petit truc à grignoter, car au marché ce matin, elle avait juste réussi à obtenir quelques tomates de Carlos, le maraîcher.

Et depuis un petit moment, une odeur alléchante l’avait attiré jusque dans cette ruelle, une odeur de gâteau, un véritable petit miracle quand on était habituée à survivre des restes des autres, et de chapardages. Lentement Zorah s’approcha de la fenêtre ouverte d’où lui parvenait le délicieux fumet. Un regard à droite, un regard à gauche pour s’assurer qu’il n’y avait personne, car il fallait craindre que celui ou celle qui avait préparé la magnifique tarte qu’apercevait Zorah, pourrait revenir à tout instant.

Non, le champ était libre, au grand bonheur de Zorah dont le visage se fendit d’un sourire malicieux. Deux mains agiles soudain se glissèrent par la fenêtre ouverte et s’emparèrent du précieux butin, encore protégé par une serviette en toile de coton. Mais aussi agiles étaient ses mains, Zorah avait omis un détail.

- ouille c’est chauuud !! Aie ! Ouh là..

La jeune fille faisait à présent un véritable numéro de jonglage, passant le gâteau d’une main à l’autre, couinant de douleur, mais surtout, il ne fallait pas lâcher prise. Hélas,ses cris avaient donné l’alerte, et soudain une grosse matrone apparut dans son angle de vision. Zorah sut qu’il ne fallait plus traîner, mais elle devait trouver une solution pour pouvoir emporter la tarte sans plus se brûler. Fronçant les sourcils et jurant pire qu’un charretier, elle saisit les pans de sa longue jupe à la gitane et emballa le gateau avec, avant de prendre la fuite, ses longues jambes ainsi révélées.

Débuta une course effrénée dans les rues d’Arcadia, mais le temps que la matrone sorte de chez elle, Zorah savait la partie déjà gagnée. Il lui suffit d’emprunter une première petite ruelle à droite, puis une plus loin à droite encore, une autre à gauche, et elle ne risquerait plus rien.

Plus tard, c’est en chantonnant, avançant d’un pas joyeux, en direction d’un quartier des plus mal famés de la cité que Zorah rentrait chez elle, avec un véritable petit trésor caché dans ses jupons.

- Pipeau ??? Pipeauuu ?? Viens voir !! Tu es là ? oui j’en suis sûre.. Ne sentez-vous pas cette délicieuse odeur ? hmmm ça sent bon..

Et tandis que Zorah venait de rentrer dans une bâtisse qui au premier coup d’œil semblait abandonnée, de toutes parts, surgirent des visages aux expressions curieuses, les yeux brillant d’intérêt. Sur une vieille table bancale, elle avait déposé la tarte qui même si elle avait un peu souffert lors de son transport, offrait toujours ce délicieux fumet. Elle éclata de rire en voyant la mine effarée des gamins, et mains sur ses hanches, leur demanda :

- et alors, où est Pipeau ? Oh tu es là !!

Effectivement son petit protégé surgit de l’escalier, faisant une apparition timide.

- Regarde ce que j’ai trouvé.. Joyeux anniversaire mon petit Pipeau.

Et le gosse la regarda, complètement incrédule, ses yeux s’éclairant brusquement, mais il remuait la tête, comme si la vision de cette tarte n’était qu’une illusion.

- Mais c’est po mon anniversaire.. j’sais même pas quand c’est mon anniversaire.
- Si Pipeau, ça fait aujourd’hui deux ans que tu es avec nous. Alors aujourd’hui, c’est la fête !!

Zorah lui fit un clin d’œil, et s’empara d’un vieux couteau rouillé pour découper la tarte. Elle tendit la première part à Pipeau qui soudain eut les larmes aux yeux. Il leva ses petites mains pour recevoir le merveilleux cadeau.

- merci… merci Zorah..
- mais de rien mon ptit Pipeau ! Allons vous autres, il devrait y’en avoir pour tout le monde..

Oui, presque, il y en eut pour tout le monde, sauf pour elle, mais voir la joie sur le visage de ces gamins lui suffit, et c’était un trésor encore plus précieux que le gâteau dont à présent, il ne restait plus que des miettes… et encore.

2 Musique..

Insouciante et nonchalante, Zorah se baladait dans la belle cité d’Arcadie, sourire aux lèvres, regard vif, guettant le prochain coup à préparer, ses oreilles attentives au moindre bruit, au moindre cri d’alerte, sa main glissant sur l’étal voisin pour s’emparer d’une belle pomme rouge et si appétissante. Le parfum sucré du fruit dérobé, lui arracha un soupir d’aise tandis qu’elle le dévorait à pleine dent, se réjouissant de cette belle journée qui s’annonçait.

- Bonjour Zorah !

La jeune femme tourna vivement la tête pour répondre d’un geste de la main au salut de Migelitos, petit pêcheur qui amenait le fruit de sa pêche au marché.

- Bonjour Migelitos ! Alors bonne pêche aujourd’hui ?
- oui excellente ! Mais je n’ai pas réussi à attraper la plus jolie des sirènes !

Le rire de Zorah tinta par-dessus le brouhaha qui animait le marché.

- la prochaine fois qui sait ?

Nouveau signe de la main, un dernier sourire, et Zorah poursuivit sa route, se demandant si elle pouvait toujours compter sur la promesse de Joséline, Joséline épouse de Patris le tenancier de cette jolie auberge au cœur de la cité. Peut-être qu’elle aurait du travail pour elle, ce qui lui éviterait pour un temps d’avoir à trop crever de faim, voir d’aider ses jeunes amis à survivre eux aussi..
Ou sinon, elle pourrait toujours aller voir Argos, riche marchand et conseiller à la cour, marié, mais appréciant les douces attentions de la belle bohémienne.

Ca faisait bien longtemps qu’elle ne l’avait plus vu du reste. Est-ce que sa femme le rendait toujours aussi dingue ? Oui, avant d’aller voir Joséline, elle rendrait une visite à Argos, l’homme savait la recevoir, et se fichait bien qu’elle ne soit qu’une va-nu-pied. Encore une fois, il la comblerait de cadeaux, voir lui donnerait un peu d’argent et bien sûr comme à chaque fois, ils partageraient de chaudes étreintes au creux d’un lit douillet.

Sans se départir de son sourire, Zorah poursuivit son chemin dans les rues d’Arcadie, sans remarquer l’homme qui la suivait du regard, immobile dans l’ombre d’une ruelle, et qui avait observé la jeune femme dès son arrivée au marché.