Les chantiers de la nouvelle muraille

8. ( Avant à la caserne des généraux)



Genkan regardait son amie repartir chez elle, dans ce monastère perché entre deux montagnes, bien plus haut dans l’empire, un endroit où peu d’hommes osaient s’aventurer, sauf les moines eux-mêmes. Il n’avait pas douté de la véracité des paroles qu’elle lui avait énoncées, mais il n’en restait pas moins inquiet. Pourquoi le destin d’une occidentale était-il aussi intimement lié à celui de l’empire asiatique ? Pourquoi l’histoire de la perle était-elle mêlée à la vie de l’impératrice ?

C’était autant de mystères auxquels Li Wei n’avait pas su donner de réponses, elle connaissait des choses que personne ne savait, mais ce qui faisait la particularité de cette prophétesse était comme pour tous les oracles, sa faculté à visualiser l’avenir. Genkan n’était plus aussi fort de ses convictions soudain, lui qui jusque là, avait été convaincu qu’une étrangère n’avait pas sa place sur le trône de Sunliao, voilà que son amie lui apprenait qu’il ne pouvait en être autrement. On ne pouvait défier le destin.

Pourtant, celui qu’on appelait l’empereur rouge, ne pouvait se résigner, ne pouvait encore accepter cette idée. Il avait été éduqué dans la plus pure tradition chinoise qui voulait que seul un homme prit les décisions dans sa famille, et jusqu’à son départ, il en avait toujours été ainsi. L’on daignait certes les écouter, mais de là à leur laisser diriger l’empire. Et où étaient passées les traditions de son pays ? Dans son cœur, la raison luttait contre ses convictions. Il devait se plier à son empereur, car il était avant tout, général des armées Sunlaoistes, mais comment pourrait-il prendre les meilleures décisions alors que toute son âme hurlait d’indignation ?

Il lui faudrait pourtant trouver la force de baisser les yeux et d’obéir, mais dans son fort intérieur, il se fit la promesse solennelle de veiller sur l’empire, avant tout et quoiqu’il arrive.

Li Wei n’était plus là pour lui dire les mots qui apaiseraient le général et il devait apprendre cette nouvelle vie qui l’attendait au pied de la muraille et au service du couple impérial. Dès le lendemain, Genkan réunit ses hommes pour se diriger vers les premiers chantiers de construction, aux frontières de Sunliao, celle qui départageait l’empire de l’étrange Swizzerland dont personne ne parlait jamais vraiment. Mais c’était proche de cette frontière que les Barbares avaient attaqué et ainsi c’était là que l’empereur avait décidé que débuterait ce qui serait le plus important chantier de l’empire.

En approchant des lieux où les travaux avaient déjà commencés, Genkan constata la grandeur de la construction, puisque quelques kilomètres d’un important mur s’élevait déjà au dessus des terres, et l’idée lui parut des plus intéressantes jusqu’à ce qu’il eut parlé avec le responsable du chantier. Les hommes s’installaient dans le camp alors que Genkan avait demandé à voir celui qui dirigeait les travaux et il s’appelait Tao Shan.

- nous n’avançons pas aussi vite que prévu.
- pourtant ce que j’ai vu, est déjà fort impressionnant.
- oui, au début, nous n’avions rencontré aucun soucis, mais depuis quelques temps, on subit des attaques de nuit. Des hommes disparaissent, tandis que d’autres fuient devant le danger, et puis le matériel est endommagé. Je ne saurai vous dire par cœur tous les ennuis que nous rencontrons, tant la liste est longue, mais la protection de l’armée ne sera pas de trop pour pouvoir continuer ce projet.
- et ces attaques, elles sont barbares ou pas ?
- nous l’ignorons !
- vous l’ignorez ?
- encore personne ne les a vu opérer. On dit qu’ils sont maudits..

Genkan se redressa, et gronda sur un ton tranchant :

- si vous portez fois à ces balivernes, il ne faut pas vous étonner de voir vos ouvriers déserter le chantier. Je verrai ce que moi et mes hommes pourrons faire pour que vous puissiez poursuivre sans craindre de nouvelles attaques.

Tao Shan se leva à son tour et s’inclina respectueusement devant le général de Sunliao, dont la réputation l’avait précédé au camp. Et malgré les airs austères du général, Tao était content de l’avoir parmi eux.

9.

Les nuits au cœur de l’hiver de Sunliao étaient des plus froides, et il n’était pas rare de voir quelques flocons de neige tomber, au nord des frontières du pays. Cela faisait quelques jours que Genkan et ses hommes étaient installés dans le camp de Tao Shan, et le chantier bénéficiait depuis l’arrivée de l’empereur rouge, d’une mystérieuse trêve. Ils n’avaient plus à signaler d’incidents, dégâts ou divers sabotages, de même que les enlèvements la nuit avaient cessé.

Dès la nuit de son arrivée, et même pendant la journée, Genkan avait instauré des quarts de gardes qui se relayaient régulièrement aux abords de la muraille qui doucement continuait de s’élever dans les airs, toujours plus en avant sur la frontière ouest du pays. C’était sans doute ce qui avait calmé l’ardeur des mystérieux pilleurs ou autres renégats, jusqu’à cette nuit-là.

Tout paraissait si calme et l’on ne percevait même pas les déplacements des gardes. Le silence seulement entrecoupé des cris d’animaux nocturnes, régnait sur le camp installé aux abords du chantier. Puis soudain le sifflement rapide et bref d’une flèche brisa ce paisible silence et vint se ficher en plein cœur du garde en train de faire sa ronde. A peine s’effondrait-il que d’autres flèches furent lancées, faisant tomber l’une après l’autre les vigies qui surveillaient le camp. Enfin retentit un cri d’alerte, et dans sa tente, Genkan ouvrit aussitôt les yeux.

Il perçut le remue-ménage à l’extérieur et se précipita à son tour pour constater que le camp était attaqué, mais de la façon la plus sournoise qui soit. La moitié des tentes était déjà en flammes alors que d’autres flèches enflammées continuaient leur sinistre besogne. Et tandis que la plupart des hommes s’activaient déjà à entraver l’incendie qui tendait à se propager, Genkan appela quelques uns de ses compagnons qu’il aperçut et fonça en direction des chevaux. Il leur fallait connaître l’origine de cette attaque pour pouvoir parer la suivante. Les hommes du camp semblaient s’en sortir sans leur aide. Mais alors que Genkan saisissait les rênes de sa monture, il aperçut des silhouettes se glisser entre les tentes enflammées.

- Là, ceux-là, il faut me les attraper !!

Le général talonna sa monture et s’élança à la poursuite d’une des ombres qu’il avait vue un peu plus tôt. Mais avec la fumée, les flammes, les soldats qui couraient à droite et à gauche, il perdit rapidement la trace de ces intrus mystérieux. Les autres revinrent aussi sans avoir retrouvé un seul des hommes poursuivis, ils s’étaient volatilisés.

- Ce n’est pas possible !! Toi, as-tu vu d’où venait l’attaque ?
- là-bas, à l’ouest ! dans les bois, ils ont tiré des flèches enflammées !
- allons-y !!!

Genkan lança sa monture dans la direction indiquée, avec à sa suite une vingtaine d’hommes qui avaient entendu ses ordres. Il ne laisserait pas l’ennemi s’en tirer aussi facilement cette fois.

10.

Ils étaient revenus bredouilles de cette traque. Ces mystérieux attaquants semblaient s’être évaporés dans la nature, ils n’avaient rien trouvé sauf quelques flèches perdues, des traces de sabots dans la terre meuble qui disparaissaient ensuite dans une rivière non loin. Genkan en avait conclus que leurs ennemis étaient excessivement rusés et prudents, faisant bien attention de ne pas être suivis. Rapides, ils avaient œuvré en douce, créant la plus grande surprise avec cette attaque éclair et semant plus encore le trouble parmi les soldats du camp.

En ces temps, tout homme gardait encore bien des superstitions et ceux de Sunliao n’étaient pas en restes pour remettre au goût du jour, des légendes que l’on croyait oubliées. On parlait de fantômes et d’esprits damnés, de revenants et d’esprits frappeurs, des élucubrations que le général ne pouvait admettre. Il lui fallait rapidement prendre des mesures, et s’il ne parvenait pas à arrêter les attaques, au moins il se devait de retirer ces idées saugrenues de l’esprit de ces hommes. Ils ne devaient pas oublier la raison de leur présence, en ces lieux, protéger, et poursuivre la construction qui plus tard, ferait la fierté de leur famille.

Le lendemain, suite à cette attaque, Genkan fit réunir tous les hommes du chantier, ouvriers, gardes, soldats, officiers, tout le monde fut appelé à se présenter ce matin là, face à l’empereur rouge.
Le visage sévère, Genkan se tenait très droit, bras croisés dans son dos, jaugeant ces hommes qui se réunissaient peu à peu devant lui. Et quand après un long moment, le silence se fit devant un général toujours aussi immobile, Genkan pris la parole.

- Nous avons subi cette nuit une attaque surprise d’ennemis dont à ce jour, nous ignorons encore qui commande ces troupes. Qui sont-ils, et que cherchent-ils mis à part ralentir, et voir empêcher la construction de la muraille. Mais ce qui est certain, c’est que ces hommes poursuivent un but précis, et n’ont rien à voir avec des histoires de fantômes ou de revenants. Si j’entends encore de telles rumeurs circuler, le coupable se verra aussitôt renvoyé dans sa famille, sans aucune solde.

Le général laissa son regard planer un instant en silence sur ces hommes dont certains baissèrent les yeux. Puis il continua son discours :

- les gardes seront doublées, et des rondes sur les chemins avoisinants seront organisées afin de surveiller les villages voisins. Je sais que certains d’entre vous venez de ces villages. Ceux-là , sont priés de se rendre auprès de mon lieutenant..

Un murmure inquiet s’éleva des hommes rassemblés. Genkan ajouta alors un dernier mot :

- n’oubliez pas que vous êtes ici pour servir votre empereur, à la gloire de Sunliao !!

Et tous les hommes scandèrent ensemble ces quelques mots, comme ci ces derniers pouvaient les protéger d’autres attaques qui, Genkan le savait, ne manqueraient pas.

Quand les pillards avaient attaquées et que les tentes avaient pris feu, le sang de Subotaï n'avait fait qu'un tour.
La rage au ventre, il s'était lancé avec ses camarades à la poursuite des ombres.
Tant de lointains souvenirs lui revenaient en tête maintenant qu'il était rentré au pays.
Ils étaient rentrés bredouille et il en gardait un gout amer, une frustration sourde qui le rongeait.
Il alla trouver Genkan et le salua de façon très formelle, les deux poings l'un contre l'autre avec une petite inclinaison du buste.
Il prit la parole sur un geste de son supérieur

Genkan Sama
Je vous demande la permission de pister ces hommes.
je trouverais qui ils sont et s'ils ont un campement et je viendrais vous le rapporter.

11.

Penché sur la carte du comté sur lequel avaient débuté les travaux de la muraille, Genkan étudiait le relief environnant pour pouvoir attribuer des patrouilles sur chacun des chemins qui traversaient une zone qu’il avait déjà délimitée. Avant son arrivée, plusieurs des ouvriers envoyés par Tao Shan, partis soit vers les cités marchandes de Sunliao, soit vers le port le plus proche, n’étaient pas revenus. Il devenait urgent d’arrêter ces attaques sournoises et celle de cette nuit était un des plus funestes exemples. Rien ne semblait pouvoir arrêter cet ennemi invisible.

C’est à ce moment que Subotaï, son plus fidèle compagnon d’arme, se présenta à lui et sa proposition, ne manqua pas de ramener le sourire sur le visage d’ordinaire si sévère du général. Il lui fit signe de s’assoir, et se pencha en avant, le regard animé d’une lueur rusée.

- mon ami.. Je savais que je pouvais compter sur toi, tu es le meilleur des pisteurs que je connaisse, c’est grâce à toi que nous avons retrouvé les Sang Li et leurs bandes de vautours dans les montagnes de cendre..( ainsi nommées en raison des régulières éruptions du volcan qui se trouve au cœur de la chaîne et dont les nuages retombent en cendre à bien des kilomètres alentours.) Alors tu penses pouvoir retrouver la trace de ces hommes ?
- Si vous me le permettez, oui je trouverai la trace de ces hommes.
- alors tu as toute autorité pour mener tes recherches. Et quand tu les auras débusqués, nous irons ensemble leur montrer la valeur des guerriers de Sunliao.

Satisfait, Genkan s’adossa contre son siège, et frappa de ses deux mains le plat de la table. Il attendrait avec impatience ce jour là, et alors ces hommes indignes, ces êtres sournois allaient découvrir les châtiments que Genkan réservait aux traîtres.

Oï, il en sera fait ainsi Genkan Sama.

Et le guerrier se fendit d'un large sourire, heureux que son Général ait accepté sa requête.
C'est vrai qu'il était le meilleur pisteur des hommes qui étaient revenus aux pays, ses origines de forestier et ses années d'exil avait aiguisé une aptitude naturelle de chasseur.
Animaux ou humains, il savait les pister comme personne.
Et si ses ennemis étaient rusés mais il l'était également et patient aussi.
Il salua son général et partit préparer un paquetage léger qui lui assurerait rapidité et discrétion.
Il emporta également son arc court, son katana et son couteau.
Subotaï embrassa du regard le campement des ouvriers et celui des Samori une dernière fois puis s'élança à pas de loups dans la forêt.
La traque commençait.

14. ( Avant au camp des Kurgans)


C’était une nuit sans lune, la nuit parfaite pour attaquer, celle ou la lune ne viendrait pas trahir leur présence aux abords de ce camp qu’ils s’apprêtaient à attaquer. Ils s’étaient tous tapis dans les buissons, non loin des tourelles qui abritaient les gardes. A pas de loups, ils approchèrent jusqu’à l’orée des bois qui les protégeait encore du regard des vigies.

Soudain le sifflement d’une flèche brisa le lourd silence et la vigie dans un cri étranglé s’effondra sur le sol. Ce fut le signal de départ, et le son de la chute donna l’alerte aux autres gardes qui se mirent à crier aux autres qu’on les attaquait.

Aux premiers rangs, ayant laissé les chevaux derrière eux, Jesse, Mad et Rool bondirent ainsi que d’autres kurgans hors des buissons, fonçant tout droit sur les palissades ennemies. Mad et Jesse s’étaient mis d’accord sur la façon d’agir une fois sur place. Ils avaient réussi à se procurer un grappin que Mad jeta avec force jusqu’en haut des palissades, profitant que les gardes déchargeaient leurs arbalètes sur les autres Kurgans.

- Attention !!!

Mad instinctivement se baissa tandis qu’une flèche d’arbalète sifflait tout près de lui. Jesse s’était aplatie contre la paroi en rondin de bois, puis recommença son escalade. Mais une autre flèche la manqua de peu. Alors Mad regarda autour de lui, arracha l’arc des mains d’un archer Kurgan, visa la vigie à l’arbalète sur la tourelle, et tira. On entendit un râle étouffé tandis que celle-ci s’effondrait.

Jesse se tourna alors vers lui en fronçant les sourcils. Mad haussa les épaules, il n’avait pas eu le choix. Tout autour d’eux, c’était la pagaille, les archers arrivaient sur les palissades et échangeaient des bordées de flèches avec les attaquants Kurgans. Mad voyant que Jesse atteignait enfin le sommet de la palissade, fit un geste à Rool qui secoua la tête.

- j’y arriverai jamais !
- mais dépêche bon sang !
- je n’peux pas !
- Allez, je t’aide

Et Mad poussa son ami pour qu’il grimpât à la corde toujours reliées au grapin. S’ils voulaient respecter les plans de Jesse, ils devaient absolument arriver au plus vite là- haut. Les flèches continuaient de siffler autour d’eux tandis que Mad pressait Rool de se hisser plus vite encore jusqu’au sommet.

Quand enfin ils y parvinrent tous les deux, ce fut pour trouver la pirate les mains en l’air, menacée par une arbalète qui pointait juste sous son menton. Rool s’effondra sur la passerelle de bois, tout essoufflé et ne prêta pas attention aux gardes sunlaoïstes qui pointaient sur lui leurs arbalètes. Quand à Mad, il se contenta d’un sourire d’excuse pour les gardes, et imita Jesse en levant les mains.

- c’est bon, vous avez gagné ! héhé.. on reste calme ! Jesse, je me demande encore si c’est un bon plan.
- nous serons très vite fixés

12.

Cela faisait plus de quatre jours que Subotaï était parti, et depuis Genkan n’avait reçu aucune nouvelle. Il songeait à envoyer des soldats sur ses traces, mais la nuit était tombée sur le camp et cela devrait attendre le lendemain.

Le général se redressa et posa sa serviette sur la table après ce repas digne d’un guerrier qui lui avait rempli la panse. A présent, il devait penser à prendre quelques heures de repos afin d’être en forme pour le lendemain, mais auparavant, il décida de faire un tour sur les remparts, et vérifier qu’on appliquait bien ses consignes de sécurité. Puis une fois qu’il se fut assuré que chaque parcelle découverte aux alentours du camp, était surveillée par les vigies, il se retira non sans avoir donné une dernière recommandation aux gardes en faction à ce moment.

Quelques heures à peine plus tard, il fut l’un des premiers à se réveiller en sursaut, alerté par le cri des vigies. Ils étaient attaqués ! En grondant, Genkan se leva, s’habilla très rapidement et une fois saisit son sabre, se hâta de rejoindre les palissades. Il entendait les cris de leurs ennemis au-delà de la palissade et s’apprêtait à monter à l’échelle quand un des gardes se précipita vers lui.

- Mon général ! Nous avons capturé des assaillants, et l’une d’eux veut vous parler.
- une ?
- oui mon général !

Et sans plus poser de questions, Genkan se précipita à la suite du soldat sur l’autre plan de palissade et après avoir grimpé à sa suite l’échelle, il découvrit là un étrange trio. Des arbalétriers les tenaient en joue et ceux-ci à son arrivée, tournèrent la tête vers lui. Genkan dévisagea la femme qui redressa le menton et prit la parole avec aplomb :

- Général Genkan ?

Elle avait tout l’allure d’une pirate avec ses vêtements et les babioles qui pendaient à ses oreilles et dans ses cheveux. Mais Genkan ne comprenait pas ce qu’elle faisait là, parmi des assaillants du camp. Il dédaigna sa question, observant les deux autres prisonniers. Un homme bien charpenté aux allures de guerrier, à voir sa cuirasse et sa tenue. Quand au dernier, il arborait un étrange chapeau qu’il avait déjà vu portés par des guerriers des steppes sunlaoïstes, mais il n’avait pas du tout le type d’un habitant de sunliao. Alors sans doute un voleur qui faisait la paire avec la femme pirate.

Il se tourna vers le guerrier à sa gauche et interrogea :

- qui êtes-vous ?
- Mad Martigan, pour vous servir.. aie !

L’homme avait tenté une courbette, bien vite empêché par la pointe d’une flèche qu’on appuya sur son cou. Le général plissa les yeux, de plus en plus sceptique, bras croisés dans son dos.

- Qui vous envoie ?? demanda-t-il toujours aussi sèchement et ignorant toujours superbement la femme.
- ah mais personne, enfin si, en quelque sorte si.

Le général fit un pas en avant, et gronda tout près du visage du prisonnier.

- seriez-vous en train de vous moquer de moi ?
- Oh non non pas du tout, jamais je n’oserai, hein Rool ?
- oui..euh oui il a raison !
- Général Genkan, c’est vous n’est-ce pas ?

Cette fois, il n’ignora plus la femme qui insistait et qui ne semblait nullement troublée par cette situation pourtant fort fâcheuse pour elle et les deux autres hommes.

- c’est moi en effet, et toi femme, qui es-tu ? Et comment connais-tu mon nom ?
- mon général ??

Genkan se retourna pour voir un des soldats accourir vers lui.

- Les assaillants sont partis, nos archers ont réussi à repousser leurs attaques.

Genkan sourit et se tourna vers les trois prisonniers, le regard froid malgré son sourire qui aurait fait trembler plus d’un.

- Apparemment ils nous ont laissé cette fois quelques prisonniers. Emmenez-les !! Je vais me charger personnellement de les interroger !

83.

Jesse, les mains ligotées dans le dos, suivait ses deux compagnons de galère, jusqu’à la tente principale, celle qui abritait le siège du général Genkan. Elle était restée silencieuse tandis que Mad et Rool commençaient de plus en plus à douter de ses plans de bataille. Ils avaient espéré que la pirate puisse se faire entendre rapidement, au lieu de quoi, ils s’étaient retrouvés face à un homme dur et buté qui ne semblait pas vouloir écouter la pirate.

Oh Jesse avait très vite deviné à quel genre de personnage elle avait affaire, rien qu’à la façon qu’il avait eu de la dévisager, avec ce regard qui voulait dire qu’elle n’avait pas sa place ici. Elle allait vite le détromper et surtout sortir son dernier atout de sa manche, mais un atout maître, c’était obligé. Elle se pencha pour passer sous le pan qu’on souleva pour la faire entrer dans la tente, et se redressa une fois à l’intérieur. Le général était penché avec un de ses soldats sur une carte.

- Général, les prisonniers sont à vous.

Jesse ignora le regard inquiet de Rool et la grimace de Mad, pour se concentrer uniquement sur le personnage imposant qui semblait vouloir leur montrer qui était le maître du jeu à présent. Il ignora les paroles du soldat et ne quitta l’observation de sa carte qu’une fois qu’il eut fini d’en disserter avec son collègue, ce qui fit se crisper un peu plus la pirate qui se tenait bien droite face à lui.
Le général se redressa et avança jusqu’à elle. Ils étaient à peu près de la même taille, et l’arrogance du guerrier était autant évidente que la fierté de la pirate. Ils se jaugèrent tels deux ennemis avant l’ultime bataille.

Alors Jesse au lieu de foncer tête baissée, joua la carte de la prudence et attendit qu’il débuta l’interrogatoire. Et les questions ne tardèrent pas. Il les énuméra une à une sur un ton tranchant, sans s’attarder sur les réponses qu’elle pouvait lui donner.

- Pour qui combattez-vous ?
- personne.
- n’essayez pas de jouer avec moi !
- elle a raison, ou presque

Jesse foudroya Mad du regard. Il lui fit un sourire d’excuse et continua :

- Nous avons été engagé de force auprès des armées Kurgans.

Le général se figea :

- Les Kurgans ? Je n’en ai jamais entendu parler !
- moi non plus..

Nouveau regard exaspéré de Jesse qui trouvait qu’on perdait un temps précieux.

- Pourquoi de force ?
- on nous avait tendu un guet apens, mais qui en fait, ne nous était pas destiné. J’ai cru comprendre que c’était à vos hommes qu’ils souhaitaient s’en prendre. Et il s’est trouvé que nous passions justement par là..
- vous voulez me dire que tout cela n’est du qu’au hasard ?
- exactement, je venais de rencontrer ces deux personnes quand nous avons été attaqués.
- Oui c’est vrai ! Ils nous ont attrapé dans leurs filets et nous n’avons rien pu faire pour leur échapper.
- si vous étiez leurs prisonniers, dans ce cas, pourquoi vous battre pour eux ?
- parce qu’ils ne nous ont pas laissé le choix, laissant entendre le terrible sort qu’ils auraient réservé aux déserteurs.
- et ils nous ont promis de nous payer !

Cette fois Jesse protesta, exaspérée :

- Mad !
- et bien quoi c’est vrai !
- et vous pensiez vraiment qu’ils allaient nous payer ?

Jesse se tut en voyant l’air dépité de Mad, elle n’allait pas en rajouter, surtout que le général lui aussi, semblait perdre patience.

13.

Genkan avait l’impression que ces trois là, se moquaient bien de lui, où alors était-ce une ruse de l’ennemi, mais dans quel but, ça il n’arrivait pas à le saisir. Néanmoins l’aplomb de la femme, si elle l’agaçait, lui laisser quand même un doute sur toute cette histoire. Elle paraissait suffisamment intelligente pour ne pas s’être jetée dans la gueule du loup, sans une bonne chance de sauver sa tête.

Ainsi le général, coupa le couple dans leurs échanges pour expliquer sur un ton net et tranchant :

- quoiqu’il en soit, vous êtes à présent, mes prisonniers. Et j’aurai tout le loisir de vous interroger encore. Gardes emmenez-les !
- mais attendez, pourquoi ne pas régler ça tout de suite ?

Genkan dévisagea la femme, et esquissa un sourire qui ne prédisait rien de bon.

- A vrai dire, j’aurais voulu vous montrer combien nos prisonniers sont bien traités ici. Surtout ceux qui attaquent nos camps la nuit comme des lâches.
- mais je vous l’ai dit, nous y avons été obligé.
- Gardes !!
- Si j’étais vous, je ne ferai pas ça.

Stupéfait par les paroles de la femme pirate, Genkan perdit son sourire et s’approcha d’elle, mains croisées dans le dos.

- Ah non ? Et pourquoi pas ? Seriez-vous en train de me menacer ?
- parce que je suis une amie de l’impératrice. Voilà pourquoi.

Le général changea d’expression. Il redressa les épaules et fit quelques pas autour de la captive, pour se donner le temps de réfléchir.

- une amie de l’Impératrice, voyez-vous ça ! Et je suppose que je dois vous croire sur parole, hm ?
- non, je comprendrais que vous ayez quelques doutes à ce sujet.

Genkan revint face à elle, les yeux plissés, la dévisageant avec la plus grande suspicion.

- de une, vous attaquez le camp avec des gens que vous dites être des Kurgans, un nom que je n’ai jamais entendu… De deux, vous prétendez qu’ils vous ont forcé à vous battre pour eux, de trois, vous venez me dire à présent que vous êtes amie de l’impératrice ????

Il avait haussé le ton, légèrement énervé par cette intrigante qui ne savait pas encore le sort qu’il lui réserverait si elle avait osé lui mentir.

84.

Un regard échangé avec Mad lui fit comprendre qu’il perdait patience lui aussi. Elle devait intervenir avant qu’ils ne se trouvent tous les trois, enfermés dans une cage à rats, ou autre délicieuse torture asiatique de cet acabit. En plus, ce général semblait impatient de leur démontrer toutes ces choses. Aussi, Jesse avait-elle sorti son atout maître. A présent, il ne lui restait plus qu’à le lui prouver.

- Oui, je suis une très vieille amie de Jeza.. de euh Ake, enfin Akeru. Votre impératrice. C’est une très longue histoire et je vois vous épargner les détails par contre, je peux vous prouver que je ne vous mens pas.

Jesse fixa le général qui ne bougeait pas. Elle fit une grimace :

- Si vous permettez, il me faudrait retourner sur les remparts pour vous prouver mes dires.

Elle le vit froncer les sourcils et ajouta avec un sourire.

- Et si vous voudriez bien avoir l’obligeance de m’y accompagner ?

L’homme vira au rouge. Alors Jesse se dit qu’elle ne devait peut-être pas exagérer. Elle ajouta sans plus sourire.

- je dois vous montrer quelque chose. S’il vous plait..

Il plissa les yeux en la dévisageant d’un air des moins engageants, mais finalement, elle ne lui laissait pas trop le choix. Soudain elle songea à un détail.

- Et puis je ne voudrai pas vous bousculer mais l’homme qui m’a donné votre nom, était en très mauvais état quand nous avons quitté le camp.
- un homme ? Mais quel homme ?

Et là Jesse réalisa qu’elle avait oublié de lui demander son nom à l’autre pauvre bougre.

- euh, j’ignore son nom en fait, mais les Kurgans l’ont mis dans un sal état.
-Subotaï.. marmonna le général entre ses dents.. Allons-y !

Le général s’écarta pour la laisser passer, et fit un signe aux autres hommes d’emmener les deux autres avec eux. Jesse échangea un regard avec Mad qui n’affichait pas un air des plus réjouis. Il avait visiblement de plus en plus de mal à croire que le plan qu’elle leur avait proposé allait réellement les aider.

Ils grimpèrent aux échelles qui menaient aux remparts et parvenus en haut, Jesse attendit que le général fut à ses côtés pour se tourner vers les alentours du camp et émit un long sifflement à la surprise du général qui observa à son tour le paysage.
L’on entendit bientôt un hennissement et la cavalcade d’un cheval qui apparût soudain sous la lumière de la lune. Sa robe brillait sous les rayons d’argent, mais chacun pouvait reconnaître l’étalon des plus particuliers. Il parvint jusqu’au bas des remparts et cabra en agitant ses pattes en direction du groupe. Jesse se retourna vers le général.

- Je crois que vous connaissez ce cheval ? Akeru m’a raconté qu’autrefois elle le laissait courir librement aux côtés de Tonnerre son étalon noir. En fait, elle me l’a offert il y a bien longtemps, mais il se trouve que j’ai ..hum été obligée de le laisser à sa garde.

Le général semblait indigné et Jesse ajouta rapidement avant qu’il ne lui coupât la parole.

- Voici donc Tornade, l’Akal Téké qui aujourd’hui m’appartient. Il parait qu’il n’obéit à nul autre que l’impératrice, excepté les amis de cette dernière. N’est-ce pas là une preuve que je vous dis la vérité ? Ou souhaiteriez-vous que je vous fasse une démonstration avec l’étalon ?

Elle le regarda, sourire froid, sans plus envie de rire, car cette fois, elle n’aurait plus d’autre atout à lui offrir.

14.

Genkan plissa les yeux en observant l’animal. Il avait entendu parler de cette légende dès le premier jour de son retour à Sunliao. Il ne pouvait donc nier qu’il devait au moins y avoir une part de vérité dans ce qu’elle venait de dire. Cependant, il se devait de prendre quelques précautions de sécurité, c’est pourquoi il ordonna finalement aux gardes de les emmener aux geôles du camp. Ce qui se résumait en fait à quelques cages étroites où étaient déjà entassés quelques autres prisonniers.

- Emmenez-les !
- Mais général ! Vous avez pourtant vu que je ne mentais pas !
- c’est possible. Mais je préfère me montrer prudent, particulièrement avec les étrangers, particulièrement avec les étrangers qui attaquent mon camp, et surtout avec les personnes dans votre genre ! Gardes !
- Vous n’avez pas le droit.. Attendez que je revoie Akeru, et elle vous fera fouetter en place publique pour m’avoir aussi honteusement traité !

Genkan se crispa brusquement. Elle le menaçait, la maudite femme. Et tandis qu’il s’apprêtait à regagner ses quartiers, il ajouta à l’intention de ses gardes..

- Qu’ils soient bien traités, en attendant, il me faut retrouver le camp de ces Kurgans.
- Jamais vous ne le trouverez sans mon aide.

Le général fit demi-tour et vint affronter la pirate.

- vous pensez-vous donc aussi indispensable pour croire que sur mes propres terres, vous sauriez mieux vous retrouver que moi qui y suis né ?
- Non.. je vous ferai simplement gagner du temps, car je crois que votre..Subtotaï n’en a plus beaucoup.

Genkan serra la mâchoire.

- Soit, que tout le monde se prépare, nous partons immédiatement retrouver ces Kurgans. Ils vont avoir affaire à l’empereur rouge.

Et devant la mine surprise de la pirate..

- Je suppose qu’il est inutile de vous procurer une monture, puisque vous avez déjà le cheval sacré.

Il ignora la grimace qu’elle lui adressa et dit à l’intention de ses gardes, en regardant les deux hommes.

- emmenez ces deux là, ne vous inquiétez pas messieurs, je vous la ramène dès qu’elle nous aura guidé jusqu’à l’ennemi.

15.

Cette fois Mad s’interposa. Cette pirate avait déjà assez mené le jeu, il ne comptait plus se laisser manipuler comme un vulgaire pantin et avait bien l’intention de se faire entendre. Il s’adressa donc au général Genkan, se redressant fièrement, avec ce sourire qu’il servait quand il voulait s’acheter les faveurs d’autrui.

- permettez-moi de mettre mon épée à votre service, mon général, elle vous sera bien plus utile à la bataille qu’au fond d’une cellule.
- Non mais tu es fou Mad ?? On serait bien plus en sécurité là que…
- chuut…

Mad écarta Rool qui venait de s’accrocher à son bras pour chuchoter ses craintes à son oreille. Il ne tenait pas à rester enfermé pendant que Lady Sparrow elle serait de la bataille, il ne manquerait plus que ça. Il en profita pour jeter un coup d’œil vers la pirate, avec un sourire de défi. Mais elle suivait déjà le général vers les échelles pour descendre des remparts.

Quand au général, il leur adressa à peine un regard et après un signe de tête à ses soldats, il regagna le cœur du camp où un homme lui amena une monture. La pirate les suivait de près et quand les portes s’ouvrirent sur le groupe de soldats à cheval, elle se dépêcha de sortir à son tour et siffla une nouvelle fois son cheval.

Mad et Rool se tenaient là, avec derrière eux deux hommes qui semble-t-il devait les ramener à leur prison de bambou.

*Plutôt crever que retourner là-dedans !*

Mad se tourna vers Rool et avec un sourire déterminé, lui murmura.

- prêt ?
- oh non, Mad ! Pas encore !
- Si ! Ils n’iront pas sans moi !

Rool soupira connaissant la détermination de son ami et guide. Alors quand Mad poussa soudain un cri, avant de bondir à bas des remparts, dans un tas de foin, il n’eut d’autre choix que de le suivre. Tous deux coururent vers deux chevaux qui semblaient les attendre et si Mad n’eut aucun mal à bondir en selle, l’exercice fut un peu moins stylé pour Rool qui y parvint tout de même. Il rattrapa le retard qu’il avait pris sur Mad, et tous deux poussèrent leurs montures au galop afin de rejoindre le groupe du général Genkan.

- c’est du suicide ! Protestait Rool, tandis qu’ils galopaient côte à côte, même s’il savait que ses protestations seraient inutiles.
- Non Rool, pas avec Mad Martigan pour se battre avec eux ! Avec elle, avait-il failli dire, mais il se retint juste à temps.


( A suivre, camps des Kurgans)